Poétiques de l’exil. Maghreb et diaspora, journée étude.
Compte rendu de la Journée d’études « Poétiques de l’exil. Maghreb et diaspora »
(INALCO – Jeudi 15 décembre 2016)
À l’entame de la journée, les organisateurs n’ont pas manqué de rappeler la place de plus en plus importante des études sur l’exil dans les recherches actuelles en sciences humaines et sociales et l’importance de la perspective comparatiste. La thématique exilique est aussi de plus en plus présente dans les diverses expressions artistiques : littérature, théâtre, chanson, cinéma, peinture.
L’exil est souvent envisagé à partir d’une étymologie qui fait la part belle à la notion d’exclusion. De fait l’ex-ilium latin coupe celui ou celle qui en est victime de son sol et le condamne au bannissement. Autant dire que l’exil est d’abord synonyme d’épreuve et de souffrance. Celui qui est chassé de son cercle de connaissance, de sa terre natale ne peut que ressentir nostalgie et mélancolie. Pourtant, la réalité socio-culturelle est plus complexe. C’est précisément ce qu’ont montré les intervenant.e.s à partir de corpus et d’approches variés.
S’agissant du Maghreb, cette notion est assurément problématique dans la mesure où l’étude des textes (romans, poèmes) révèle un certain nombre de postures et d’imaginaires différents en fonction des époques, des individualités, voire des langues. Il s’agit donc bien d’une expérience décisive mais qui revêt des apparences et des significations multiples : à la fois détermination socio-historique, vécu traumatisant et imaginaire fantasmatique, fatalité et échappatoire, mouvance et stase. En tout état de cause, il est certain que dans l’histoire artistique et poétique du Maghreb, l’expérience exilique se situe véritablement au cœur de la création contemporaine.
Conformément à l’argumentaire de cette journée d’études, les communications s’organisaient autour des deux axes principaux correspondant aux deux grands registres de l’expression littéraire, le roman et la poésie. Dans l’ordre des interventions, nous avons eu le plaisir d’écouter :
- Anas Alaili, Docteur en langue et littérature arabe, Responsable du fonds des langues sémitiques, Bibliothèque Université Paris 8, qui a traité de « L’exil un lieu de passage : Littérature palestinienne contemporaine »
- Elisabeth Schulz, Docteur et chercheuse associée au CERIEC (Université d'Angers), qui s’est intéressée à « L’exil, terreau de la littérature judéo-maghrébine francophone »
- Aïcha Aknazzay, Doctorante à l’Université de Cergy-Pontoise, laboratoire LDI-CNRS 7187, qui s’est interrogée sur le sens de l’exil chez l’écrivain marocain Abdelkebir Khatibi (« Quel exil pour Khatibi, l'étranger professionnel ? »)
- Lynda-Nawel Tebbani, Doctorante (Université de Lorraine), Membre de Passages XX-XXI, Lyon 2 / Membre associé au Crasc - Uccla (Oran), qui a abordé la problématique de la « Poétique de la remémoire dans le roman de Mourad Djebel : Ex-il et Ex-je(s) ou la musicalité de la « double absence »)
- Laguer Hanane, Doctorante et chercheuse associée au Lacnad (Inalco), qui est intervenue sur le thème « Les représentations de l’exil dans Les Balcons de la mer du nord (Waciny Laredj) »
- Abdelkader Al Andalussy Oukrid, Enseignant, Université Descartes – Paris, qui a choisi de s’intéresser aux « Exils, identifications nostalgiques et interférences poétiques »
- Farida Aït-Ferroukh, Enseignante-chercheuse (Aix- Marseille I, Paris VIII) qui a présenté une communication sur le thème de « El-Hasnaoui, voix-relais. Paroles de femmes blessées »
- Damien Taillard, Directeur de l’association Phocéephone, qui a exploré les « Sillons de Belsunce : pour une poétique de la chanson de l’exil »
- Sadek Sallam, Écrivain. Directeur de collection (Editions Villeneuve), qui s’est interrogé sur les liens entre « Poésie et mystique durant l'exil de l'émir Abdelkader en France (1847-1852) »
- Hervé Sanson, Maître-assistant à l’Institut de romanistique (Aix-la-Chapelle), Membre associé à Thalim (CNRS/ENS/Paris 3) et ITEM (Institut textes et manuscrits) qui a rendu compte d’une expérience artistique en rapport avec la thématique de la journée : « Traverser de Habib Tengour : comment faire la traversée, du poème à l’adaptation scénique ? »
- Tahar Bekri, Poète et Maître de conférences à l'Université de Paris X-Nanterre qui nous a entretenu de son parcours d’écrivain exilé dans une contribution intitulée « Écrire l’exil »
Une table ronde (modérée par Mourad Yelles, avec la participation de Tahar Bekri, Olivia Elias et Habib Tengour) a clôturé cette importante manifestation. Pour en résumer la tonalité générale et les conclusions (nécessairement provisoires), le mieux est sans doute de citer trois extraits de l’intervention de Tahar Bekri. Le poète nous explique pour commencer que « la thématique de l’exil s’est imposée à moi dans ce besoin de dire l’absence, le manque, la révolte, dans un souci de dépassement de soi, mais surtout dans un désir de résister à l’injustice, à la servitude, à la volonté du prince, écrire je le considère avant tout comme est un acte de liberté. » Sachant que « Écrire l’exil ne peut suffire de regarder le pays d’origine dans je ne sais quelle idéalisation outrancière, il est aussi regard reconnaissant sur le pays hôte qui vous permet de garder votre dignité d’exilé. ». Enfin, et surtout, le poète nous rappelle que si « […] un texte littéraire n’est pas sans rapports avec le contexte dans lequel il s’écrit, il reste à lui trouver une forme, une esthétique, un rythme, une langue, en somme, une écriture, une poétique ». Comme pour tous les écrivains exilés, à commencer par les écrivains maghrébins, c’est dans ce mouvement poétique et intellectuel critique que se situe, pour Tahar Bekri, le cœur même du travail de création poétique.
Hanane Laguer, doctorante et chercheuse associée au Lacnad (Inalco)
Mourad Yelles, professeur des universités en littératures maghrébines et comparées à l’Inalco. Directeur-adjoint du Lacnad et responsable de la composante Cream (Centre de recherche et d’études sur l’arabe maghrébin).