Héritage et diversité linguistiques en Azerbaïdjan
La plus grande concentration de locuteurs de langues turciques se trouve dans le Caucase de l’Est, dans une zone turcophone presque continue s’étendant le long de la côte caspienne et englobant le noghaï, le koumyk et l’azéri. De ces trois langues, seul l’azéri possède le statut de langue officielle d’état, celui de la République d’Azerbaïdjan.
Pendant des siècles, l’azéri a été la lingua franca (c.à.d. la langue de communication interethnique) de sa zone géographique, qui s’étend de l’extrême ouest du Petit Caucase jusqu’à la côte caspienne et au sud vers le Plateau iranien. Ce statut assez solide ne s’est affaibli que dans la seconde moitié du XXe siècle lorsque, sous la pression de langues plus largement diffusées comme le russe et le persan, l’azéri a commencé à céder ses positions sociolinguistiques. Néanmoins, il reste une langue seconde répandue chez les locuteurs de langues minoritaires en République d’Azerbaïdjan, où son statut officiel est inscrit dans la Constitution.
La diversité linguistique de cette zone géographique était à son apogée au début du XXe siècle et tout au long de sa première moitié, avant que la région ne fût affectée par les mouvements de population forcés, causés par d’âpres conflits politiques modernes, et à l’époque où l’immigration de masse dans cette région sous contrôle russe alimentait encore sa mosaïque multilingue. La ville de Bakou au sommet de l’ère soviétique était une communauté de locuteurs de plus de 100 langues différentes.
La partie nord de ladite zone, qui s’étend le long des deux versants du Grand Caucase, est parsemée de communautés où vivent des locuteurs de langues caucasiques de l’Est. Celles parlées en Azerbaïdjan comprennent principalement le lezgui, l’avar et le tsakhour. En plus de ces trois-là, il existe des langues de la même famille parlées dans moins d’une demi-douzaine de communautés rurales à travers le pays, à savoir le routoul, l’akhvakh et le bezhta, dont la principale zone de diffusion est le Daghestan, région russe limitrophe de l’Azerbaïdjan, ainsi que l’oudi (étroitement lié à l’ancienne langue littéraire de l’Albanie du Caucase), les variétés kryzes, le boudough et le khinaloug, langues parlées uniquement en Azerbaïdjan. Près des régions du nord où sont parlés l’avar et le tsakhour, se trouvent des localités où un dialecte particulier du géorgien, une langue caucasique du Sud, connu sous le nom d’ingilo, est parlé.
Des langues appartenant à la branche iranienne de la famille indo-européenne sont traditionnellement parlées aux quatre coins de l’Azerbaïdjan. L’une d’elles est le talyshi, parlé dans le sud du pays. Une autre est constituée par un groupe de variétés linguistiques étroitement apparentées connues collectivement sous le nom de tat (regroupées en deux sous-branches : le tat juif et le tat musulman) et parlées dans une zone discontinue au nord-est et au centre du pays. Une troisième est le kourmandji du Caucase, qui a été historiquement parlé dans la partie occidentale de l’aire de l’azéri. Enfin, à partir de la fin du XIXe siècle, des groupes de locuteurs d’un dialecte persan périphérique ont migré vers le nord en plusieurs vagues et se trouvent actuellement dans quelques villages de la vallée d’Alazane à l’extrême nord de l’Azerbaïdjan. Jusqu’à récemment, une langue iranienne connue dans la littérature scientifique sous le nom de kilit était parlée dans un village du même nom dans la partie sud-ouest du pays, l’exclave du Nakhitchevan, mais était déjà en voie d’extinction au moment de sa documentation à la fin du XIXe siècle.
L’arménien, une autre langue indo-européenne, est parlé dans les régions montagneuses de la partie occidentale de l’aire où est parlé l’azéri. Le russe, largement parlé encore aujourd’hui en Azerbaïdjan en tant que deuxième ou troisième langue, est principalement urbain, mais a également des locuteurs natifs dans les communautés rurales du pays, héritage de la politique d’immigration impériale russe. C’est cette même politique qui a jadis introduit dans ces terres des locuteurs de souabe, une variété alémanique, qui ont établi des colonies dans ce qui est maintenant le nord-ouest de l’Azerbaïdjan et y ont vécu pendant plus de 120 ans jusqu’à leur déportation sur les ordres de Staline lors de l’incursion nazie en URSS.
Historiquement, le Caucase de l’Est abritait des communautés isolées locutrices de langue dom, bien qu’il n’y en ait pas eu de mention dans la littérature scientifique depuis la fin du XIXe siècle.
De même, des sources des XVIIIe et XIXe siècles mentionnent de petits groupes de population au centre de ce qui est aujourd’hui l’Azerbaïdjan, parlant une variété mixte d’arabe, l’une des rares langues sémitiques parlées nativement dans le Caucase. Cette variété a probablement disparu au début du XXe siècle.
Comme ailleurs dans la région et aussi dans le monde, les processus sociolinguistiques, les migrations, l’urbanisation et l’éducation universelle ont contribué à la réduction progressive du domaine d’usage de certaines langues minoritaires. L’Azerbaïdjan a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 1992 mais ne l’a pourtant pas encore ratifiée. Dans le même temps, le contact linguistique entre l’azéri et les langues avec lesquelles il est en contact, a produit de tous les côtés des phénomènes linguistiques particuliers, dont beaucoup doivent encore faire l’objet de recherches.
Murad Suleymanov
Lecteur d’azéri à l’Inalco
Champs de recherche : langue et linguistique dans l’aire Caucase–Anatolie–Iran, langues iraniennes, langues turciques, langues caucasiques de l’est, contact de langues.
Images de couvertures de livre : manuels scolaires de langues minoritaires publiés en Azerbaïdjan.
DR : ministère de l'éducation de la République d'Azerbaïdjan.