AXE 4 : CRISES, CONFLITS ET RISQUES

Coordination : Sylvia Chassaing, Laurent Coumel, Katerina Kesa, Eric Le Bourhis

L’axe « Crises, conflits et risques » du CREE explore les dynamiques de violence, de guerre et de crises en Europe et en Eurasie aux XXe et XXIe siècles au travers d’une diversité d’objets et d’approches. Il se divise en deux sous-axes. Le premier, Violences, guerres et traces de guerre, analyse les impacts des conflits sur les sociétés, en privilégiant les échelles micro et méso. Il étudie les transformations politiques et sociales en temps de guerre, des deux conflits mondiaux et de la Shoah au durcissement du régime de Vladimir Poutine et à la guerre russe contre l’Ukraine (depuis 2014). Le second, Risques, organisations et mobilisations contemporaines, s’intéresse aux crises traversées par ces espaces, ainsi qu’aux recompositions politiques, géopolitiques, sociales et économiques et aux mobilisations environnementales qui y sont à l’œuvre, notamment depuis les années 1980 et en rapport avec la crise climatique. En croisant histoire, géographie, science politique, sociologie et littérature, cet axe vise à éclairer les mutations récentes des pays concernés, en particulier aux marges de l’ancien empire tsariste puis de l’ex-URSS.

 

STRUCTURE DE L'AXE

Sous-axe 4.1. Violences, guerres et traces de guerre

  • GR 4.1.1. Pouvoirs et sociétés en guerre 
  • GR 4.1.2. Conflits, violences et traumatismes : représentations et témoignages
  • GR 4.1.3. Entre guerres et émigrations : exils, trajectoires intellectuelles et mémoire

Sous-axe 4.2. Risques, organisations et mobilisations contemporaines

  • GR 4.2.1. Dynamiques transnationales et enjeux régionaux : une approche multiscalaire
  • GR 4.2.2. Fragmentations et recompositions économiques des pays d’Europe centrale et    orientale et d’Eurasie : acteurs, stratégies et politiques
  • GR 4.2.3. Environnement à l'Est : crises, risques et mobilisations XXe-XXIe siècles

 

Sous-axe 4.1. Violences, guerres et traces de guerre

Responsables : Sylvia Chassaing & Eric Le Bourhis

En s’appuyant sur une connaissance approfondie des langues et cultures des espaces étudiés, l’axe de recherche « Violences, guerres et traces de guerre » explore les formes et les impacts des violences et des conflits en Europe et en Eurasie, en mettant l’accent sur les espaces marginaux et les dynamiques locales. Plutôt que d’adopter une lecture strictement nationale ou macro-historique, les recherches menées privilégient des échelles d’analyse multidimensionnelles : témoignages individuels, territoires d’entre-deux, expériences du quotidien en temps de guerre, résistances diffuses et stratégies de contournement. Tout en faisant une place au récit des vainqueurs, il s’intéresse avant tout au témoignage des victimes, ainsi qu’aussi aux figures intermédiaires – témoins, complices, acteurs ambigus de la guerre et de l’oppression. L’axe inclut également des champs parfois considérés comme périphériques dans l’étude des conflits et des violences : la littérature, la philosophie, les représentations culturelles et médiatiques. 

Cet axe se déploie sur trois grandes lignes thématiques et pluridisciplinaires : les transformations des systèmes de gouvernement et des sociétés au travers des guerres et violences qui ont touché l’Europe et l’Eurasie depuis la Première Guerre mondiale ; l’étude des formes, des conditions de production et de transmission des témoignages et des représentations écrites et médiatiques produites sur les violences ou pendant les violences ; l’histoire et la mémoire de différents groupes et individus exilés originaires de ces régions, pour éclairer à la fois les trajectoires individuelles, les savoirs produits par ces communautés et les tensions qui les animent.

Ce sous-axe comprend trois groupes de recherches et implique 6 titulaires : Étienne Boisserie, Antoine Chalvin, Sylvia Chassaing, Sophie Hohmann, Eric Le Bourhis, Ilya Platov ; 2 doctorants : Mathilde Garnier et Antoine Nicolle ; une jeune chercheuse : Katarzyna Jopa ; 2 associés : Jules Sergei Fediunin et Youlia Sineokaya.

 

GR 4.1.1. Pouvoirs et sociétés en guerre 

  • L’ingénierie démographique en temps de guerre : guerre, nationalisme et politiques de population dans la Russie de Poutine (Jules Sergei Fediunin)
  • La persécution des juifs dans l’espace urbain ordinaire pendant la Seconde Guerre mondiale (Eric Le Bourhis)
  • Approche prosopographique de l’administration déconcentrée en Slovaquie (1935-1945) (Étienne Boisserie)

 

GR 4.1.2. Conflits, violences et traumatismes : représentations et témoignages

  • (Ne pas) dire le traumatisme : formes et enjeux du surnaturel dans la littérature des minorités de l’espace russophone (Sylvia Chassaing)
  • Sociologie des carnets personnels dans la guerre en Arménie : étudier la guerre du point de vue de ses acteurs (Sophie Hohmann)
  • La poésie polonaise de la Seconde Guerre mondiale (Katarzyna Jopa)
  • Le Goulag dans la littérature estonienne (Antoine Chalvin)
  • Les expériences médiatiques de la guerre en 2022 (Antoine Nicolle)
  • La philosophie face à la guerre : les transformations de la communauté philosophique russe au XXIe siècle (Youlia Sineokaya)

 

GR 4.1.3. Entre guerres et émigrations : exils, trajectoires intellectuelles et mémoire 

  • L’espace intellectuel russophone hors de Russie (Ilya Platov et Youlia Sineokaya)
  • La première vague de l’émigration russe en France : lieux de mémoire et mémoires conflictuelles sur la période 2000-2022 (Mathilde Garnier)

 

4.1.1 Pouvoirs et sociétés en guerre 

Responsable : Eric Le Bourhis

Les aires d’étude du CREE ont été au cours du XXe siècle et sont aujourd’hui touchées par des conflits armés violents de grande échelle – ne serait-ce que les deux conflits mondiaux et la guerre russo-ukrainienne. Ceux-ci ont entraîné des violences de masse contre les populations civiles et suscité de profondes reconfigurations politiques et des changements de régimes, provisoires ou durables. Le projet de recherche « Pouvoirs et sociétés en guerre » questionne ces transformations qui sont à la fois d’ordre démographique, politique et social. Le projet réunit des enquêtes qui développent une diversité d’approches, pour certaines à l’échelle micro, d’autres macro, démographiques, historiennes, politistes ou sociologiques. Ces enquêtes abordent sous différents angles ces transformations des sociétés qui sont à la fois importantes et rapides. Elles croisent l’étude des instruments politiques déployés et des réactions des sociétés, pour détruire et reconstruire, dominer et résister, déposséder et redistribuer.

Jules Sergei Fediunin, dans son projet intitulé L’ingénierie démographique en temps de guerre : guerre, nationalisme et politiques de population dans la Russie de Poutine, explore les relations complexes entre la guerre, le nationalisme et les politiques de population dans la Russie de Vladimir Poutine dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il propose une analyse des processus et des pratiques qui remodèlent les populations en temps de guerre et via la guerre. À la faveur d’une méthodologie pluridisciplinaire, le projet combine l’analyse du discours politique russe en matière d’appartenance nationale et d’enjeux démographiques avec celle des dispositifs législatifs (accès à la citoyenneté, immigration, politique nataliste, relations ethniques). Remettant en question la théorie de la « paix gériatrique », ce projet examine les façons dont un État connaissant un déclin démographique peut avoir recours à la force militaire.

Enfin, le projet d’Eric Le Bourhis intitulé La persécution des juifs dans l’espace urbain ordinaire pendant la Seconde Guerre mondiale renouvelle l’histoire de la persécution des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale à partir du domaine du logement en milieu urbain. Ce dernier est un point d’observation privilégié, en termes de sources mais aussi de questionnements, des transformations de la société pendant et après la persécution. Le projet emploie des méthodes de microhistoire et d’histoire urbaine. Il s’inscrit l’équipe de recherche « Connus à cette adresse. Villes et dynamiques sociales des persécutions antijuives en Europe » créé en 2016 (https://www.connusacetteadresse.fr/). Son projet se décline en deux enquêtes : d’une part, une enquête individuelle sur Riga qui suit plusieurs lignes : le parcours de réfugiés juifs qui arrivent à Riga à partir de 1938 ; la persécution pendant les premiers mois de l’occupation allemande en 1941 ; la traque des personnes cachées ou jusque-là épargnées en 1942 ; les « casernements » de juifs soumis au travail forcé à l’extérieur du ghetto ; le retour des survivants (qui représentaient environ un quart de la communauté d’avant-guerre) à la vie sociale après la guerre dans un contexte stalinien. D’autre part, une enquête collective (avec Isabelle Backouche EHESS/CRH et Sarah Gensburger CNRS/CSO) sur la région parisienne qui suit plusieurs lignes : la spoliation des locataires juifs ; le parcours et expériences au travers de la Seconde Guerre mondiale de juifs émigrés de l’Europe médiane ou de Russie ; le retour à la vie sociale des rescapés après la libération.

S’interrogeant sur les éléments de continuité et de discontinuité administrative dans l’appareil d’État déconcentré en période de changement de régime, Étienne Boisserie propose une recherche qui s’appuie sur une démarche prosopographique pour analyser, d’une part, les changements dans les structures administratives régionales en Slovaquie entre la fin de la Première république tchécoslovaque et les premiers mois de l’État slovaque indépendant et, d’autre part, la mise en place des autorités régionales dans la Tchécoslovaquie restaurée du printemps 1945. Parallèlement à ces recherches, dans une démarche plus généraliste s’appuyant sur un chapitre à paraître en 2025 (avec Isabelle Davion, Sorbonne Université), il travaille à l’élaboration d’un manuel consacré à la Seconde Guerre mondiale en Europe médiane.

 

4.1.2. Conflits, violences et traumatismes : représentations et témoignages 

Responsable : Sylvia Chassaing

Le projet de recherche « Conflits, violences et traumatismes : représentations et témoignages » explore la manière dont les expériences de violence et de rupture historique sont mises en récit et en image dans les aires d’études du CREE. Les recherches menées interrogent les formes du témoignage et les représentations du traumatisme, qu’il soit individuel ou collectif, à travers des approches pluridisciplinaires alliant études littéraires, sociologie, histoire et philosophie.

Cet axe interroge les dynamiques de censure et d’oubli, les trajectoires des acteurs ainsi que les mutations des discours face aux bouleversements politiques et sociaux. En croisant analyse des récits, étude des représentations et réflexion sur les enjeux de transmission, il vise à éclairer les processus par lesquels les sociétés font face à leur passé et à leur présent et façonnent leur rapport à l’histoire.

Sylvia Chassaing dans son projet : (Ne pas) dire le traumatisme : formes et enjeux du surnaturel dans la littérature des minorités de l’espace russophone, étudie le phénomène du réalisme magique dans la littérature russe de l’extrême contemporain : certain.es autrices et auteurs, pour partie issu.es des minorités ethniques et religieuses, recourent dans leurs textes à un surnaturel distinct du fantastique et du merveilleux (Goralik, Serenko, Gavrilova, Barskova, Gorbounova, Osokin…). Dans leurs œuvres, l’irruption du magique dans le quotidien n’est pas un moyen de rompre une logique discursive considérée par principe comme fallacieuse et inexistante, comme c’est le cas dans une forme classique du postmodernisme, mais au contraire comme un moyen de dire quelque chose qui, dans sa réalité ou dans les affects que cette réalité suscite, défie la logique : en l’occurrence, souvent, la violence qui traverse la société et l’histoire russes. Les textes évoqués peuvent alors se prêter à une lecture sociocritique, à une lecture en termes d’études culturelles et enfin à une lecture relevant des Trauma Studies. Ce projet est susceptible d’être étendu à d’autres espaces de l’aire dite post-soviétique et d’interroger la pertinence de cette dénomination.

De son côté Sophie Hohmann entreprend un projet de Sociologie des carnets personnels dans la guerre en Arménie : étudier la guerre du point de vue de ses acteurs. Ce projet se concentre sur l’expérience de la guerre de soldats arméniens ayant combattu durant les guerres du Haut-Karabagh et en particulier sur la dernière décennie (2014-2023) et son influence sur les transformations de l’identité personnelle des soldats durant la guerre. Il s’agit d’aborder les perceptions des soldats à travers cette pratique « ordinaire » de l’écriture de soi (beaucoup sont décédés durant la guerre et je n’ai donc pas accès à leur mémoire), leurs habitus, mais aussi à étudier les conditions sociales de production de ces carnets, les contextes d’écriture en fonction des statuts sociaux des soldats, leur monde social, leurs représentations à l’égard de l’événement-la guerre, les prises de décisions, mais aussi de déchiffrer la matérialité, l’écriture, la morphologie des carnets, les rythmes, le style, etc. D’une manière plus générale, ce projet voudrait contribuer au champ de la recherche sociologique sur les écritures domestiques dans la guerre.

Katarzyna Jopa dans son projet portant sur La poésie polonaise de la Seconde Guerre mondiale étudie la poésie écrite pendant et/ou sur la Seconde Guerre mondiale par des poètes varsoviens, et ceci en s’intéressant spécifiquement aux approches intertextuelle, intermédiale (relation textes-images) et psychologique. La Seconde Guerre mondiale, par son horreur, a profondément marqué l’histoire de la poésie polonaise, en même temps qu’elle a laissé d’importantes cicatrices dans l’âme humaine. Elle a aussi bouleversé le paysage de la capitale polonaise (la ville a été détruite à plus de 85%). Le but est aussi d’étudier l’image poétique et picturale de Varsovie, celles de sa destruction pendant la guerre et sa reconstruction après 1945. Ce sous-projet se présente comme le prolongement de sa thèse de doctorat, consacrée à la lecture bachelardienne de l’œuvre de Krzysztof Kamil Baczyński, l’un des poètes varsoviens qui a vécu, créé et péri, à l’âge de 23 ans, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le projet d’Antoine Chalvin intitulé Le Goulag dans la littérature estonienne, porte sur l’étude de l’œuvre d’une autrice estonienne (Aili Helm, pseudonyme de Hilja Rüütli, 1921-2009), qui a rendu compte de son expérience du Goulag dans deux romans publiés en Suède en 1982 et 1984 par une maison d’édition de l’émigration estonienne. Le compléterait deux études similaires déjà publiées sur deux autres auteurs estoniens également déportés au Goulag (Raimond Kaugver et Jaan Kross).

De son côté Antoine Nicolle dans son projet Les expériences médiatiques de la guerre en 2022, propose d’étudier les expériences et vécus la guerre en Ukraine au travers de ses différentes strates de médiatisation, depuis les représentations médiatiques en tant que telles (télévisuelle, en ligne, etc.) jusqu’aux réappropriations culturelles dans les arts, la chanson, la littérature. L’approche se veut pluridisciplinaire, à la croisée des études littéraires et culturelles, de l’anthropologie et de la sociologie des médias, de la philosophie et de la phénoménologie de l’image.

Enfin, Youlia Sineokaya s’intéresse à l'étude du processus de transformation de la communauté philosophique russe sous le régime de Poutine, depuis le début des années 2000 jusqu'à aujourd'hui dans son projet portant sur La philosophie face à la guerre : les transformations de la communauté philosophique russe au XXIe siècle. Au cours des trois premières années de la guerre, la communauté philosophique russe s'est divisée en trois camps. La première se compose d'universitaires opposés à la guerre qui ont quitté la Russie pour les États-Unis et l’Europe et qui se sont regroupés pour créer l'Institut de philosophie indépendant, fondé à Paris en 2023. Le deuxième groupe est constitué de conformistes passifs, d'employés d'universités et d'instituts de recherche qui continuent à travailler en Russie. Dans le troisième camp, on trouve les penseurs pro-Kremlin qui sont derrière la nouvelle philosophie militaire souveraine russe. L’objectif de ce projet est d’analyser les activités de ces trois groupes sur la base de divers types de publications dans les médias russes et étrangers, ainsi que de documents d'archives, y compris de mes archives personnelles.

 

4.1.3 Entre guerres et émigrations : exils, trajectoires intellectuelles et mémoire 

Responsable : Ilya Platov

Entre révolutions, guerres et crises politiques, l’exil a façonné les trajectoires de nombreux intellectuels et artistes à travers l’histoire. Des premières vagues d’émigration du début du XXe siècle aux départs forcés plus récents, notamment depuis 2022 dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine et de la guerre à grande échelle, ces déplacements soulèvent des enjeux majeurs : comment les exilés participent-ils à la construction d’une mémoire collective ? Quels rôles jouent-ils dans la préservation et la transformation des héritages culturels ? Ce sous-axe explore les itinéraires intellectuels en exil, leurs réseaux, leurs productions et les projets d’avenir qu’ils formulent, tout en interrogeant les continuités et les ruptures qu’impose la distance avec le pays d’origine.

Dans leur projet commun, L’espace intellectuel russophone hors de Russie, Ilya Platov et Youlia Sineokaya étudient la transformation profonde de l’espace intellectuel russophone à la suite de la guerre contre l’Ukraine et de l’autoritarisme croissant en Russie. Ce projet analyse les divisions politiques et intellectuelles qui ont fragmenté le milieu académique entre pro-guerre et anti-guerre, poussant de nombreux intellectuels à l’exil. L’étude se concentre sur les intellectuels et philosophes russes vivant en Russie et à l’étranger, en explorant les changements dans leurs carrières, identités professionnelles et réseaux. Elle met également en lumière l’émergence de nouveaux centres de pensée indépendante, comme l’IPHI (Institut de philosophie indépendant), fondé à Paris en 2022. Ce projet ambitionne d’éclairer l’impact des régimes autoritaires sur les sciences humaines et sociales, tout en favorisant la reprise du dialogue intellectuel international.

Mathilde Garnier quant à elle s’intéresse à la mémoire de l’émigration russe post-1917, dite des « Russes Blancs » en France, sur la période 2000-2022 dans son projet intitulé La première vague de l’émigration russe en France : lieux de mémoire et mémoires conflictuelles sur la période 2000-2022. Au croisement de l’histoire, de la sociologie et des relations internationales, il s’agira de recenser les lieux de mémoire (par opposition aux lieux d’histoire) de cette émigration en France, en analysant leur importance dans la réactualisation du discours produit par les descendants de cette émigration depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en Russie. D’autre part, ce projet vise à identifier les acteurs et mécanismes à l’œuvre dans cette entreprise mémorielle. Par ce processus, il s’agira de voir comment s’est transformée une certaine idée de la « russité préservée » dans le temps long. Au-delà de ces interactions proprement communautaires, la réflexion si situera dans une approche transnationale, en étudiant la façon dont cette mémoire de l’émigration dialogue avec la Fédération de Russie. Outre la nature intrinsèque de ces échanges, il s’agira de voir si cette mémoire ne fait pas l’objet d’une exploitation — plutôt que d’une récupération historique — en vue d’une confrontation des récits dans un contexte belligène.

 

Sous-axe 4.2. Risques, organisations et mobilisations contemporaines

Responsables : Laurent Coumel & Katerina Kesa

Ce sous-axe rassemble des projets collectifs et individuels orientés vers l’étude des espaces, pays et régions compris dans les aires du CREE touchés par des crises et des risques contemporains (politiques, géopolitiques, économiques, humanitaires, environnementaux, etc.) et où les sociétés sont marquées par des mobilisations de divers types. La guerre d’invasion lancée en 2022 par la Russie contre l’Ukraine est un des facteurs de bouleversement, qui s’ajoute à d’autres préexistants dans cette partie du monde marquée, au XXe siècle, par l’expérience communiste. Celle-ci a laissé des héritages qui contribuent à aggraver les risques et les crises, mais qui servent aussi de cadre aux mobilisations qui leur répondent, ou à la recherche de solutions par les États comme par les sociétés. Ces espaces s’adaptent en outre à des mutations politiques régionales et internationales plus larges, telles que le rapprochement avec l’Union européenne et l’élargissement de l’OTAN. 

En identifiant trois types de risques et mobilisations liés d’une part à des dynamiques transnationales et à des enjeux régionaux, y compris géostratégiques, d’autre part à des fragmentations et à des recompositions économiques, et enfin à des crises et défis environnementaux, il s’agit de montrer l’intérêt des jeux d’échelles et de l’analyse pluridisciplinaire en science politique, histoire, économie et sociologie pour la connaissance des aires culturelles concernées (Europe centrale, orientale et balkanique, et pays de l'ex-URSS y compris l'espace baltique et l'Asie centrale).

Ce sous-axe comprend trois groupes de recherche composés de 11 titulaires : Laurent Coumel, Iryna Dmytrychyn, Sophie Hohmann, Katerina Kesa, Eric Le Bourhis, Catherine Poujol, Assen Slim, Taline Ter Minassian ; Eva Toulouze, Jeanna Vassilioutchek, Julien Vercueil ; 9 doctorants : Raphaël Da Silva, Anton Kravchenko, Filip Leśniewicz, Michaël Levystone, Illias Mamadiarov, Éléonore Nantas, Romain Sidos, Dmitry Volkov, Léa Xailly ; 1 jeune docteure : Jelena Jokic et 8 associés : Anatole Danto, Julie Deschepper, Jules Sergei Fediunin, Oksana Mitrofanova, Mélanie Sadozaï, Camille Robert-Bœuf, Tamara Svanidze.

 

GR 4.2.1. Dynamiques transnationales et enjeux régionaux : une approche multiscalaire

  • Dynamiques transnationales dans l’espace baltique (Katerina Kesa)
  • Les enjeux régionaux et locaux de la question ukrainienne dans la guerre à grande échelle (Oksana Mitrofanova)
  • « Au but ta force mesure » : analyse géostratégique des ambitions polonaises sur l’isthme mer Baltique-mer Noire (1989-2022) (Léa Xailly)
  • Pologne-Russie : projections croisées des imaginaires nationalistes sur des espaces extérieurs (Léa Xailly et Jules Sergei Fediunin)
  • Mobilités transfrontalières entre l’Asie Centrale et l’Afghanistan : le cas de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan (Sophie Hohmann et Mélanie Sadozaï)
  • Maintenir les contacts transfrontaliers entre l’Asie centrale et l’Afghanistan en contexte de frontière fermée (Mélanie Sadozaï)
  • Évolution du rôle et de l’influence de l’outil militaire dans les politiques étrangères menées par les pays d’Asie centrale entre 1991 et 2023 (Romain Sidos)
  • La République islamique d'Iran et le Caucase de 1991 à nos jours : du voisinage régional au nouveau « Grand Jeu » ? (Raphaël Da Silva)
  • Les États fantômes (Levant, Mer Noire, Caucase) depuis 1945 (Taline Ter Minassian)

 

GR 4.2.2. Fragmentations et recompositions économiques des pays d’Europe centrale et orientale et d’Eurasie : acteurs, stratégies et politiques

  • Transformations institutionnelles et socio-économiques à l’Est : PECO, Russie, Eurasie (Julien Vercueil, Assen Slim)
  • La relation des PECO, de la Russie et de l’Eurasie à l’Union européenne (Assen Slim, Julien Vercueil)
  • Transformation systémique de la Serbie depuis 2001 : enjeux et perspectives (Jelena Jokic)
  • Effets de la guerre d’Ukraine sur les politiques et trajectoires économiques russes (Julien Vercueil)
  • La géopolitique de l’énergie en Europe centrale et orientale et Eurasie : dépendances, stratégies et recompositions économiques (Céline Bayou)
  • Industrialisation et développement dépendant des pays du groupe de Visegrád (Filip Leśniewicz)
  • Confiance, institutions financières informelles et microfinance en Asie centrale (Iliias Mamadiiarov)
  • Transformer par les TIC ? L’État et les entreprises russes du numérique (2002-2022) (Dmitry Volkov)
  • L’évolution des stratégies des firmes pétrogazières russes face aux transformations géo-économiques et géopolitiques contemporaines : 2014-2022 (Anton Kravchenko)
  • Le projet Belt and Road Initiative, générateur de nouvelles expositions aux risques en Europe et Eurasie : le cas du vecteur cyber-sécuritaire appliqué aux technologies opérationnelles dans le domaine du transport (Éléonore Nantas)
  • L’Asie centrale dans le « Pivot oriental de la Russie » : des impacts contradictoires (Michaël Levystone)

 

GR 4.2.3. Environnement à l'Est : crises, risques et mobilisations XXe-XXIe siècles

  • Après Tchernobyl : crises et risques écologiques dans l’espace post-soviétique (Céline Bayou, Laurent Coumel, Julie Deschepper, Iryna Dmytrychyn, Catherine Poujol, Camille Robert-Bœuf, Jeanna Vassilioutchek)
  • Mobilisations et controverses environnementales dans l'URSS tardive 
    (Laurent Coumel, Eric Le Bourhis, Tamara Svanidze)
  • Économie et environnement en Europe balkanique et orientale et en Eurasie 
    (Assen Slim, Julien Vercueil et Jelena Jokic)
  • Approches écopoétiques en Russie et en Géorgie : autour de l’écriture et du festival « Texte de la Volga » et de l’écrivaine Naïra Guélachvili (Sylvia Chassaing et Tamara Svanidze)
  • « Patriotisme écologique » en Russie (Jules Sergei Fediunin)
  • Environnements finno-ougriens en crise (Eva Toulouze, Anatole Danto)
  • Femmes, pratiques de subsistance et transformation des paysages en Pologne et en Lituanie dans le contexte de guerre en Ukraine (Camille Robert-Bœuf)

 

4.2.1 Dynamiques transnationales et enjeux régionaux : une approche multiscalaire

Responsables : Sophie Hohmann & Katerina Kesa

Ce projet s’articule autour de thématiques plurielles tout en ayant en commun de s’intéresser à des espaces régionaux (Baltique, centre-européen, Caucase, Asie Centrale) en mouvement et en contact. Les questions des migrations, des frontières, de la circulation transnationale, de la politique étrangère et de sécurité y tiennent une place particulière. Les recompositions en termes de partenariats, de pratiques et d’acteurs régionaux, nationaux et transnationaux constituent un angle de recherche important dans ce projet, de même que leurs articulations et représentations dans les discours. Ces questions permettent d’aborder le façonnement d’enjeux socio-culturels, politiques, sécuritaires, stratégiques, économiques, à visée régionale ou internationale dans le contexte de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, mais aussi dans celui de rivalités entre plusieurs autres grandes puissances régionales et mondiales (Etats-Unis, Chine, Union européenne, Iran, Turquie et Inde).

Dans son projet Dynamiques transnationales dans l’espace baltique, Katerina Kesa s’intéresse à la fois aux circulations d’idées, d’acteurs et de pratiques entre les rives de la mer Baltique mais également aux coopérations transnationales au niveau des organisations régionales formels ou dans le cadre des formats de coopérations plus informels (Nordic-Baltic 8, (NB8) Nordic-Baltic 6 (NB6), etc.). Ce projet questionne également les changements, les ruptures et les nouvelles dynamiques en matière de régionalisation, induits depuis l’attaque russe à grande échelle lancée contre Ukraine en 2022, et se manifestant par la démarcation d’une sorte de nouveau « Rideau de fer » qui passe cette fois-ci plus à l’Est. Cette nouvelle démarcation s’observe, d’un côté, par une coopération désormais renforcée entre huit pays de la Baltique (pays baltes, pays nordiques, la Pologne, l’Allemagne ; tous désormais membres de l’UE et de l’OTAN), et de l’autre, par les fermetures régulières des postes de contrôles, de l’arrêt de coopération transfrontalière avec la Russie ainsi que par un climat de méfiance, de contrôle, d’opérations militaires et informelles dans la mer Baltique. 

Oksana Mitrofanova questionne quant à elle Les enjeux régionaux et locaux de la question ukrainienne dans la guerre à grande échelle. L’objectif de son projet est d’analyser les discussions, les avancées et les obstacles dans les partenariats de sécurité entre l’Ukraine et plusieurs pays européens (Allemagne, France, Italie, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni). Il s’agit d’envisager à travers cette recherche les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine avec un focus particulier sur la question de la perspective d’entrée de ce pays dans l’UE. A partir de sources diverses (ouvrages, revues, presse) et d’entretiens avec des décideurs, experts et praticiens, ce projet voudrait éclairer le débat à la fois académique et démocratique sur une question cruciale pour l’avenir du continent européen. 

Dans son projet de thèse « Au but ta force mesure » : analyse géostratégique des ambitions polonaises sur l’isthme mer Baltique-mer Noire (1989-2022), Léa Xailly examine la politique de défense et de sécurité de la Pologne dans son voisinage oriental entre 1989 et 2022. L’isthme mer Baltique-mer Noire constitue une bande de terre stratégique qui relie autant qu’elle sépare la péninsule européenne de la masse continentale eurasiatique. Autrefois confins de la République des Deux Nations (1569-1795), puis de la Seconde République polonaise (1921-1939) et marges de l’Empire russe puis de l’URSS, cet espace continue d’être au centre d’une lutte d’influence. Depuis 1989, la Pologne cherche à se prémunir contre un possible retour de la « menace russe » (« Rosyjskie zagrożenie »). Entrée dans l’OTAN en 1999, et se trouvant depuis 2022 très impliquée dans l’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine, elle a ainsi développé une politique orientale destinée à établir un espace-tampon entre son territoire et celui de la Fédération de Russie. L’objectif de cette étude consiste à évaluer l’adéquation entre les ambitions polonaises – se positionner comme un acteur crédible dans la région – et les moyens déployés au cours des trente dernières années dans cet espace traversé par les intérêts divergents de plusieurs puissances.

À une autre échelle de réflexion, l’analyse des discours en Pologne et en Russie est au cœur du projet conjoint de Léa Xailly et Jules Sergei Fediunin. Ce projet intitulé « Pologne-Russie : projections croisées des imaginaires nationalistes sur des espaces extérieurs » souhaite proposer une analyse comparée des discours et des imaginaires nationalistes en Pologne et en Russie en ce début de XXIe siècle, en tenant compte de la longue durée. Il examine la manière dont ces derniers se projettent sur les espaces voisins situés au-delà des frontières reconnues des deux États, en particulier sur les territoires de l’Ukraine et du Bélarus. Ces projections portent sur les anciens territoires de la République des Deux Nations dits « Kresy », ainsi que sur ceux de la « Russie historique », les « Okrainy » appelés ainsi dans l’empire tsariste et à nouveau après 1991 dans les cercles nationalistes russes, et sur les populations qui y résident. L’objectif du projet est non seulement d’étudier les statuts symboliques attribués à ces espaces, mais également de cartographier leurs représentations géographiques, historiques et démographiques, telles qu’elles se manifestent dans les discours et les imaginaires portés par des acteurs multiples. Ces territoires se trouvent aujourd’hui au centre d’un conflit dont les implications dépassent le cadre régional, ce qui confère à cette étude une dimension particulièrement actuelle.

Au niveau plus micrologique des frontières, le projet de Sophie Hohmann et Mélanie Sadozaï, Mobilités transfrontalières entre l’Asie Centrale et l’Afghanistan : le cas de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan, vise à apporter un regard nouveau sur la perception des frontières entre l’Asie centrale et l’Afghanistan. Ces frontières qui représentent une source d’opportunités pour les acteurs locaux et régionaux se sont fermées avec le Covid-19 puis avec le retour de talibans, ce qui a entravé considérablement de nombreux projets de connectivité vitaux pour les populations alentour. Cette recherche se concentrera sur les transformations des mobilités, des stratégies multiples et des pratiques mises en œuvre, que ce soit autour de la frontière dans le Pamir tadjik ou dans le sud de l’Ouzbékistan à Termez. Dans la logique de ce projet, Mélanie Sadozaï s’intéresse plus précisément aux conséquences du changement politique majeur qu’est le retour des talibans sur les espaces frontaliers, et les ressources économiques, personnelles et médicales offertes par cette frontière. Son projet intitulé Maintenir les contacts transfrontaliers entre l’Asie centrale et l’Afghanistan en contexte de frontière fermée envisage une approche à micro-échelle par le biais d'un travail ethnographique sur le terrain. Les réouvertures de ponts frontaliers au Tadjikistan par les talibans en 2023 laissent entrevoir de nouvelles stratégies ayant des répercussions multiscalaires non seulement au niveau des populations locales mais aussi au niveau politique des États. Ce projet fera ainsi entendre la voix des communautés frontalières, souvent perçues comme des minorités périphériques par les pouvoirs centraux. 

À un niveau plus macrologique, le projet de Romain Sidos intitulé Évolution du rôle et de l’influence de l’outil militaire dans les politiques étrangères menées par les pays d’Asie centrale entre 1991 et 2023revient sur les contradictions entre les promesses d’un monde irénique de paix et de progrès, nées de la fin de l’URSS, et l’avènement d’un ensemble de conflits régionaux et locaux, ainsi que de l’hyper-terrorisme dans les années 2000 et 2010, jusqu’aux guerres actuelles. Si le recours à l’outil militaire comme instrument diplomatique classique paraît désormais assumé par certains États, l’Asie centrale est directement concernée par une sécurité instable en raison de l’islamisme, des séparatismes, du contexte régional et de la volonté de différentes puissances d’étendre leur influence. La recherche s’appuie sur des entretiens menés dans plusieurs pays. 

Raphaël Da Silva, dans son projet de thèse qui porte sur La République islamique d'Iran et le Caucase de 1991 à nos jours : du voisinage régional au nouveau « Grand Jeu » ? analyse les relations entre la République islamique d'Iran et les pays du Caucase du Sud, en particulier l’Azerbaïdjan post-soviétique de 1991 à 2023. Inscrit dans le champ des sciences politiques et des relations internationales, ce projet vise à décrypter les politiques iraniennes dans la région transcaucasienne, ainsi que leurs interactions avec les autres puissances régionales (Turquie, Russie) et mondiales (États-Unis, Chine). La recherche s’appuie sur des sources primaires (presse iranienne et azerbaïdjanaise) et des analyses d’experts.

EnfinTaline Ter Minassian s’interroge sur une thématique qui reste d’actualité, Les États fantômes (Levant, Mer Noire, Caucase) depuis 1945. En effet, ces entités non reconnues sont des États de facto ou « proto-États » dotés d’institutions, d’assemblées, de ministères, d’universités situées dans des capitales dont le nom évoque la Syldavie du Sceptre d’Ottokar ou mieux encore, la Ruritanie, cas d’école du droit international public utilisé par Ernest Gellner dans son fameux ouvrage Nations et Nationalismes (1989). De Tiraspol à Soukhoumi, de Donetsk à Tskhinvali, la galaxie des États fantômes explorés dans ce projet ne se limite pourtant pas aux seules entités nées des fameux « conflits gelés » de l’ère post-soviétique. Les États fantômes sont certes dispersés à travers le monde, mais ils se sont singulièrement multipliés dans un vaste quadrilatère compris entre une ligne imaginaire courant au Nord de Pristina à Donetsk en passant par la Transnistrie, au Sud de Benghazi à Stepanakert par Chypre, le Rojava syrien et le KRG irakien, sans oublier les États fantômes séparatistes de la Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Tel est l’espace où les États fantômes, actuels, passés ou à venir, se sont multipliés depuis la guerre froide dont les premiers frissons ont débuté en 1946, lorsque l’occupation soviétique en Iran du Nord avait suscité la création du premier proto-État kurde, la République de Mahabad et la République démocratique d’Azerbaïdjan (iranien). Ce projet souhaite explorer cette galaxie des États fantômes offrant une échelle d'étude idéale, entre dynamiques transnationales et enjeux régionaux.

 

4.2.2 Fragmentations et recompositions économiques des pays d’Europe centrale et orientale et d’Eurasie : acteurs, stratégies et politiques

Responsables : Assen Slim & Julien Vercueil

Ce projet analyse les transformations économiques en Europe centrale et Eurasie, accélérées depuis 2022 par la guerre d’invasion en Ukraine et ses conséquences sur les institutions, les politiques économiques des États et les stratégies des acteurs privés de la région. Il observe les fragmentations financières et commerciales qui touchent désormais également les systèmes productifs, et s’intéresse à la manière dont les acteurs économiques tentent de s’y adapter. A l’échelle nationale, les politiques de développement, en particulier industrielles, sont affectées. A l’échelle de l’entreprise, ce sont les stratégies qui doivent être repensées. Leurs interactions contribuent à façonner le devenir des économies de la région.

Il s’agit d’associer à des travaux empiriques menés localement une réflexion plus large sur les nouvelles relations que la Russie sous sanctions noue avec ses partenaires dans le monde, notamment au sein du groupe des BRICS élargi à de nouveaux membres. Seront ainsi combinées des analyses sectorielles (portant notamment sur des industries liées aux nouvelles technologies) à des études macro-économiques. Le projet utilise enfin un canevas théorique (économie institutionnelle et évolutionnaire, économie politique internationale, théorie de la régulation) pour outiller ses enquêtes empiriques, et intègre une réflexion méthodologique (y compris éthique) sur la collecte et l’analyse de données en situation de guerre et, plus généralement, sur la recherche en terrains empêchés.

Dans leur projet portant sur les Transformations institutionnelles et socio-économiques à l’Est : PECO, Russie, Eurasie, Julien Vercueil et Assen Slim proposent une analyse comparative des différentes approches du changement institutionnel adoptées par les pays de la région et de la manière dont les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE, UE, BERD) ont influencé ces transformations. Ce projet s’intéresse également à l’émergence de nouveaux modèles économiques intégrant des problématiques contemporaines telles que le développement durable et l’économie collaborative. Enfin, il examine l’impact des réformes économiques sur la structure et la mobilité sociales et les inégalités de revenus et de patrimoine.

Dans leur autre projet commun intitulé La relation des PECO, de la Russie et de l’Eurasie à l’Union européenne, Assen Slim et Julien Vercueil s’intéressent à la nouvelle géo-économie créée par les élargissements de l’UE de 2004, 2007 et 2013. La définition de l’acquis communautaire et les prescriptions associées, les programmes d’assistance de l’UE (PHARE, ISPA, SAPARD), les accords commerciaux (ALECA) et les regroupements sub-régionaux ont reconfiguré la relation économique des PECO avec leurs partenaires de l’ouest. En cette période de crise de l’UE, les questions de convergence/divergence et de solidarité/concurrence intra-communautaire sont centrales. Ce projet vise à étudier celles-ci et les tensions liées aux divergences économiques et politiques.

Jelena Jokic dans son projet Transformation systémique de la Serbie depuis 2001 : enjeux et perspectivesvise à analyser la transition économique de la Serbie depuis la fin du régime socialiste, en explorant les défis institutionnels et économiques de son intégration dans l’économie mondiale. Elle souhaite examiner les stratégies de réforme, les relations avec l’UE et les spécificités du modèle économique serbe, oscillant entre innovation systémique et capitalisme dépendant. L’étude s’appuie sur des entretiens avec des acteurs économiques et institutionnels, ainsi que sur des comparaisons avec d’autres pays post-socialistes.

Dans son projet individuel intitulé Effets de la guerre d’Ukraine sur les politiques et trajectoires économiques russes, Julien Vercueil explore l’impact de la guerre d’Ukraine sur l’économie de la Russie : effets macro-économiques et monétaires, modification du mode de régulation, restructuration industrielle, réorientation géographique des échanges commerciaux et des flux de capitaux, flux migratoires et politiques d’adaptation à ces nouvelles conditions. Une attention particulière est accordée aux effets des sanctions et aux stratégies privées et publiques pour les atténuer. L’élargissement récent des BRICS a contribué à ces transformations, et donc à la fragmentation et à la recomposition économique qui affecte l’ensemble du monde, surtout le continent eurasiatique. Le projet s’appuie sur les travaux du séminaire BRICS du CREE.

Dans son projet La géopolitique de l’énergie en Europe centrale et orientale et Eurasie : dépendances, stratégies et recompositions économiques, Céline Bayou explore les interdépendances énergétiques des pays de la région, les stratégies de production, de transit, de fourniture, d’approvisionnement, de distribution et d'investissements, ainsi que les recompositions liées aux exigences nées de la transition énergétique et des conséquences géopolitiques de la guerre en Ukraine.

Six thèses de doctorat en cours s’inscrivent dans ce projet. Celle de Filip Leśniewicz (Industrialisation et développement dépendant des pays du groupe de Visegrád) analyse les mécanismes de dépendance des États du Groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) au sein de l’Union européenne, et les obstacles structurels que ces mécanismes de dépendance imposent à leur convergence avec les économies plus développées de l’UE. Leur insertion dans le capitalisme globalisé – notamment leur rôle dans les chaînes de valeur mondiales – perpétue des rapports asymétriques et limite leur capacité de développement. La méthodologie mobilise des outils de l’économie politique internationale, de l’économie et de la sociologie du développement.Dans son projet de thèse (Confiance, institutions financières informelles et microfinance en Asie centrale), Iliias Mamadiiarov, examine l’évolution de la microfinance au Kazakhstan et au Kirghizstan depuis 1991. Il veut montrer comment la rivalité mimétique pour la richesse, au sein des élites, s'est traduite par une violence monétaire qui a favorisé la monopolisation du secteur et sa dérive. L’étude de cas ethnographique met en avant plusieurs thématiques clés, notamment la migration rurale, les choix intertemporels (en particulier l’actualisation hyperbolique) et les mécanismes de confiance, tels que conceptualisés par David Kreps. Le projet examine le phénomène de « sédition monétaire » dans le contexte de la crise du COVID-19 au Kazakhstan et au Kirghizstan, et analyse le lien étroit entre le sacré et la finance. La thèse en cours de Dmitry Volkov (Transformer par les TIC ? L’État et les entreprises russes du numérique, 2002-2022), analyse le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) et son impact sur l’économie russe, en examinant ses conditions d’émergence et les facteurs de développement, les stratégies commerciales des entrepreneurs, les politiques publiques et les récits guidant les relations entre l’État et les entreprises. Ce faisant, il montre les effets de transformation de ce secteur sur le pays, en s’appuyant sur des entretiens avec des acteurs privés et publics, étayés par des analyses statistiques et documentaires. De son côté Anton Kravchenko interroge la façon dont les grandes entreprises énergétiques russes réagissent aux sanctions et aux évolutions des marchés énergétiques. L’approche de son projet L’évolution des stratégies des firmes pétrogazières russes face aux transformations géo-économiques et géopolitiques contemporaines : 2014-2022 se veut tout à la fois économique, culturelle et adossée aux sciences de gestion. Il s’agit d’analyser la tendance des sociétés énergétiques russes à miser sur le secteur des polyoléfines, en réponse aux défis auxquels elles sont confrontées. Parmi les modèles et concepts théoriques utilisés figurent ceux de la « stratégie d’entreprise ». La méthode combine analyse statistique et enquêtes qualitatives, dont des entretiens et de l’observation participante.

Dans son projet intitulé Le projet Belt and Road Initiative, générateur de nouvelles expositions aux risques en Europe et Eurasie : le cas du vecteur cyber-sécuritaire appliqué aux technologies opérationnelles dans le domaine du transport, Éléonore Nantas s’intéresse pour sa part aux implications du projet chinois de Belt and Road Initiative (BRI) en matière de cybersécurité, dans le secteur du transport et des infrastructures critiques. Enfin, Michaël Levystone cherche à évaluer l’impact sur les pays d’Asie centrale de la redirection du commerce extérieur russe, accélérée à partir de 2014 dans son projet L’Asie centrale dans le « Pivot oriental de la Russie » : des impacts contradictoires. Le « Pivot oriental » de la Russie emporte deux séries de conséquences sur les économies centrasiatiques : d’une part, un resserrement des synergies avec la Russie (hausse des échanges impulsée par l’aide au contournement des sanctions, développement de projets de connectivité provoquant l’asiatisation du commerce extérieur russe) ; d’autre part, une volonté d’affranchissement vis-à-vis d’elle (crainte des effets par ricochet des sanctions, diversification accrue des partenariats, regain d’intérêt pour des projets de connectivité interrégionale n’impliquant pas la Russie, échec de la proposition russe d’un Partenariat trilatéral dans la sphère gazière avec le Kazakhstan et l’Ouzbékistan).

 

4.2.3 Environnement à l'Est : crises, risques et mobilisations XXe-XXIe siècles

Responsables : Laurent Coumel & Assen Slim

À l’est de l’Europe et dans l’ex-URSS, la question environnementale se pose avec une acuité croissante depuis le milieu du XXe siècle. Elle se manifeste par des crises, liées entre autres à des catastrophes industrielles en série, et plus récemment aux effets du changement climatique en cours. Mais elle est aussi l’objet d’une prise en compte variable dans la sphère publique, et l’existence d’un mouvement écologiste qui a joué un rôle important dans les ruptures politiques de 1989 en Europe centrale et orientale et la dislocation de l’Union soviétique en 1991. Ses héritages au XXIe siècle restent forts, même si le retour de l’autoritarisme en Russie depuis 2000, et la guerre russe contre l’Ukraine depuis 2014, devenue invasion massive en 2022, ont invisibilisé en partie ces enjeux. Sont prévues des réalisations individuelles et collectives (articles et chapitres d’ouvrages, notes d’expertise, articles de vulgarisation, traductions, colloques). 

Le projet collectif intitulé Après Tchernobyl : crises et risques écologiques dans l’espace post-soviétique conduit par Céline Bayou, Laurent Coumel, Julie Deschepper, Iryna Dmytrychyn, Catherine Poujol, Camille Robert-Bœuf et Jeanna Vassilioutchek veut étudier les effets des bouleversements et des catastrophes en cours, du changement climatique à la guerre d’invasion russe contre l’Ukraine, et les mobilisations contemporaines qu’elles suscitent. L’approche est pluridisciplinaire et se fonde sur des corpus documentaires publiés, y compris audiovisuels, des fonds d’archives et des terrains d’enquête orale.

Dans leur projet Mobilisations et controverses environnementales dans l'URSS tardive, Laurent Coumel, Eric Le Bourhis et Tamara Svanidze s’intéressent en particulier aux mobilisations et controverses environnementales qui jouent un rôle majeur dans l’effondrement de l’URSS. L’enquête historique, à partir d’archives et autres sources, portera sur plusieurs projets interrompus ou abandonnés en Russie (barrage de Rjev), en Lettonie (barrage de Daugavpils, métro de Riga) et en Géorgie (chemin de fer transcaucasien).

Le projet Économie et environnement en Europe balkanique et orientale et en Eurasie 
mené par Assen Slim, Julien Vercueil et Jelena Jokic met en lumière les enjeux économiques du changement climatique en cours. À l’est de l’Europe et dans l’espace eurasiatique en général, ils suscitent l’élaboration de nouveaux cadres théoriques et institutionnels, en rapport avec l’intégration européenne. À partir d’exemples dans les Balkans (Bulgarie, Serbie) et dans l’ex-URSS (Russie, Ukraine), il s’agit de décrire les controverses qui traversent les études économiques.

Dans leur projet Approches écopoétiques en Russie et en Géorgie : autour de l’écriture et du festival « Texte de la Volga » et de l’écrivaine Naïra GuélachviliSylvia Chassaing et Tamara Svanidze explorent cette dimension nouvelle de la recherche en littérature à partir d’un corpus très contemporain. L’intérêt pour l’écologie se manifeste également dans l’enseignement de l’écriture (cours sur « l’écopoésie » de l’École des pratiques littéraires) et dans les événements littéraires (le Festival « Texte de la Volga » en septembre 2021). Un autre objet sera l'œuvre de Naïra Guélachvili (née en 1947), militante de la société civile, traductrice et écrivaine qui publia en 1987 Ambres, ombriens et arabes, et en 1989 l’essai Écologie, technocratie et poésie considéré comme le manifeste du mouvement vert géorgien.

Le projet “Patriotisme écologique” en Russie de Jules Sergei Fediunin s’intéresse à l’étude des discours et des réseaux du “patriotisme écologique” dans la Russie contemporaine, au moyen des outils de la science politique et de l’histoire des idées, cette étude des discours vise à montrer ses connexions avec les autres formes de nationalisme et à en explorer les modalités d’action particulières. Des comparaisons internationales seront envisagées.

Le projet Environnements finno-ougriens en crise d’Eva Toulouze et d’Anatole Danto explore les relations des peuples finno-ougriens à la nature ont fait l’objet d’un renouvellement ces dernières années. Il s’agit de mieux comprendre les formes de conflictualité et d’adaptation / résilience aux changements environnementaux en cours, y compris le changement climatique, affectant les communautés finno-ougriennes de ces territoires et leurs relations à la nature.

Enfin, dans son projet intitulé Femmes, pratiques de subsistance et transformation des paysages en Pologne et en Lituanie dans le contexte de guerre en Ukraine, Camille Robert-Bœuf étudie les pratiques que les agricultrices (ouvrières agricoles, cheffes d’exploitation ou conjointes d’agriculteurs) maintiennent, ainsi que les inégalités de genre et d’accès à la terre auxquelles elles sont confrontées en situation migratoire. Grâce à une méthodologie mixte (qualitative et quantitative) qui intègre les dimensions sensibles de leurs pratiques agricoles, le projet analysera la manière dont ces agricultrices participent à la construction d’un rapport spécifique à l’environnement, d’une identité territoriale et de paysages culturels spécifiques.