Le Turkménistan, le pays et la langue
Dans l’histoire, le Turkménistan fut dominé par les grands empires, turc, perse, grec, d’Alexandre le Grand, arabe, mongol et russe avant de devenir un État indépendant en 1991.
Une grande partie du Turkménistan est couverte par le désert de Karakoum (Sable noir), mais ce pays fait l’objet de convoitise grâce à ses importantes ressources en hydrocarbures, notamment du gaz (10 % des réserves mondiales).
Depuis la conquête arabe du VIIe siècle, les tribus turques, dont les Turkmènes, commencèrent à adopter l’islam, à partir de VIIe siècle. Suite à l’islamisation, l'alphabet arabe s'implanta ainsi dans les diverses branches du monde turcique.
Après la révolution russe d’Octobre (1917), les Turkmènes obtinrent une brève indépendance. Cependant, l’Armée rouge reprit le contrôle du pays dès 1920 et en 1924, la République socialiste soviétique fédérée du Turkménistan fut créée.
En 1985, Saparmourat Niazov, ex-premier secrétaire du Parti communiste turkmène, a accédé à la présidence du Turkménistan. A la suite de la chute de l’Union soviétique, après plus d'un siècle de domination russe, l’ancienne république soviétique devient indépendante en 1991 avec un régime à parti unique (Parti démocratique du Turkménistan). Le premier président, Saparmourat Niazov, surnommé Turkmenbachi (le père des Turkmènes) est remplacé en 2007 par Gourbangouly Berdimouhamedov, surnommé « Arkadag » (le protecteur).
La langue
Le turkmène (Türkmence) est une langue appartenant au groupe des langues turciques appelées famille altaïque, parlée par plus de six millions de personnes au Turkménistan et dans les pays voisins.
Déjà en 1990, la langue turkmène fut déclarée langue officielle de la République soviétique par la « Loi sur la langue de la République socialiste soviétique du Turkménistan », encore en vigueur aujourd'hui.
Le turkmène est une langue proche du turc dans ses structures fondamentales ; de plus, à l’instar des autres pays turcophones, le Turkménistan a adopté un nouvel alphabet à base latine comme celui du turc.
Dans la famille turcique, le turkmène fait partie du groupe de langues oghouzes, avec le turc, l'azéri et le gagaouze. Le turkmène a donc plus d'affinités avec le turc et l'azéri qu’avec les autres langues turciques. Il partage les grandes caractéristiques de la famille linguistique : l’agglutination (suffixes accolés aux noms), l’harmonie vocalique (une certaine succession des voyelles dans les mots) et la régularité du système linguistique, sans distinction de genre (masculin, féminin) et l’écriture latine.
La langue turkmène standard correspond à une variété littéraire élaborée pendant le régime soviétique sur la base des dialectes de deux tribus importantes : ÿomud et tekke.
S'il a su conserver ses structures turciques dans sa grammaire et sa syntaxe, il a dû emprunter beaucoup de mots aux langues voisines, surtout au russe, mais aussi à l'iranien (farsi) et depuis l’indépendance à l'anglais et au turc.
La majorité de la population parle le turkmène, appelé parfois turcoman, mais, comme le pays compte de nombreux groupes ethniques, d’autres langues minoritaires dont la plupart turciques se pratiquent également : l'ouzbek (9%), le tatar (1,4%) et le kazakh (0,4%) ; ainsi que le russe (2,7%) et l'arménien (1,4%).
Parmi toutes les langues minoritaires, le russe a un statut particulier ; sous l’Union soviétique, le russe étant la langue des communications interethniques, le turkmène était relégué au second plan. Actuellement, le russe est toujours utilisé principalement dans la vie politique, administrative et économique. Par ailleurs, le russe est parlé par les minorités présentes dans le pays : les Ukrainiens, les Arméniens, les Coréens, les Allemands.
Cependant, depuis son indépendance, le Turkménistan a suivi une politique d'éviction de la langue russe en faveur du turkmène dans tous les domaines de la vie publique.
Alphabets
Tout au long de son histoire, le Turkménistan a utilisé quatre alphabets différents : l'alphabet arabe (env. de 1000 à 1928), l'alphabet latin (de 1928 à 1939), l'alphabet cyrillique que Joseph Staline imposa comme dans les autres républiques turciques (de 1940 à 1993) et de nouveau l'alphabet latin (de 1993 à nos jours). L’alphabet actuel compte 30 lettres (9 voyelles et 21 consonnes).
Philippe-Schmerka Blacher, un ancien élève de l’Inalco, regretté, a étudié la grammaire turkmène et a conçu une méthode d’apprentissage[1].
Si le turkmène a été considéré pendant longtemps comme une langue essentiellement orale, il a aussi développé une littérature écrite depuis le XVIIIe siècle.
Le meilleur produit de cette tradition est le Livre de Dede Korkut : Une épopée, récit épique composée vers le VIIIe siècle. Des versions en turc, en turkmène et en azéri sont toujours diffusées[2].
Le poète Magtymguly Pyragy (1724-1733 – 1807) est une figure emblématique de cette littérature. A l’occasion du 290e anniversaire de sa naissance, une cérémonie a été organisée à l’Inalco en décembre 2013, sous le patronage de l’Ambassade de Turkménistan en France.
Nous reprenons ici un extrait d’un poème de Magtymguly traduit du turkmène par Louis Bazin et Pertev Naili Boratav.
Les Turkmènes
« Entre l’Amou-Derya et la mer Caspienne
Sur la steppe souffle le vent des Turkmènes.
C’est un bouton de rose, c’est la sombre prunelle de mes yeux noirs,
La Montagne est noire, d’où descend le torrent des Turkmènes !
Dieu les a distingués, ils vivent dans son ombre
Dans leur steppe s’ébattent les chameaux mâles et femelles,
Des fleurs multicolores s’épanouissent sur leurs plateaux verdoyants ;
Elle disparaît sous les basilics, la steppe des Turkmènes !
Drapées d’étoffes rouges et vertes, leurs jeunes fées se promènent
Un parfum ambré remplit l’air de ces douces senteurs.
Avec leurs beys, leurs princes, leurs sages anciens, maîtres du pays,
Elles dressent leurs campements bien peuplés, les belles tribus des Turkmènes !
Ils sont les fils des braves. Leurs ancêtres sont des héros.
Köroğlu est leur frère. Ils sont enivrés de vaillance.
Si par les monts et les plaines, des chasseurs les traquant,
Ils ne peuvent les prendre vivants, ces tigres que sont les fils des Turkmènes !
(…)
Pleins d’ivresse, ils s’en vont, nulle peine ne brûle leur cœur,
Rien ne peut leur barrer la route, ils brisent même les rocs…
Mes yeux ne peuvent regarder ailleurs, mon cœur est impatient.
Moi, Magtymguly, je suis la bouche parlante des Turkmènes ! »
Michel Bozdémir
Professeur des universités émérite en langue et civilisation turques
[1] Philippe-Schmerka Blacher, Parlons turkmène. Türkmençe gepleýäris, Paris, L’Harmattan, 2002.
[2] Le livre de Dede Korkut, Récit de la gente oghuz, traduit et présenté par Louis Bazin et Altan Gökalp, Gallimard, 1998.