Le MOOC de turc : Un outil hybride de médiation au service de l’enseignement à distance et présentiel
Le MOOC de turc vise l’acquisition de connaissances rudimentaires de la langue turque, à partir de tâches écrites et orales simples référencées au niveau A1 du CECRL[2] : pouvoir utiliser les formules de salutation et de politesse, se présenter, voyager, acheter des titres de transport, réserver une chambre d’hôtel, passer une commande au restaurant, faire des courses et des achats.
Le public visé est large et diversifié ; il va de ceux qui comptent séjourner en Turquie pour des raisons personnelles ou professionnelles jusqu’à ceux qui sont curieux de découvrir une langue étrangère et en poursuivre son étude ensuite. Le MOOC s’adresse plus particulièrement au monde de l’entreprise, mais aussi à toute personne appelée à se rendre dans le pays dont la langue est enseignée dans le MOOC. Par ailleurs, il pourra être utilisé au service de la formation permanente, notamment dans la phase initiale.
La première étape est un appel d’offre : comment inciter les gens à s’inscrire à un MOOC de langue ? Le teaser général de présentation des MOOC de l’Inalco, donne l’orientation générale de l’offre pédagogique. Plus particulièrement pour le MOOC de turc, nous avons fait référence à des noms symboles : les mots de Molière sur la langue turque dans la bouche du Bourgeois Gentilhomme : « Voilà une langue admirable, que ce turc ! », et les notes de Mozart en filigrane avec sa Marche turque.
Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une démarche de publicité ! La présentation de la langue, et dans une certaine mesure de la culture, ont une place importante.
De par son rythme et la qualité de son image, la bande d’annonce doit "donner envie" aux apprenants de s'inscrire, mais elle doit également introduire au public cible, le contenu de la formation et ses objectifs et présenter un plan de cours le plus détaillé possible (par semaine et par jour), des informations sur le déroulement des leçons et la charge de travail à prévoir. Enfin, elle doit présenter l’équipe pédagogique, les modalités d’évaluation et le suivi par les enseignants/tuteurs sur le forum. De même, les apprenants intéressés doivent être avertis des conditions d’obtention d’un certificat, des points d’ECTS.
On est appelé à ne pas mettre l’accent d'emblée sur les difficultés d’apprentissage d’une langue étrangère, bien au contraire, on met en avant les facilités, on souligne les atouts comme la régularité grammaticale de la langue turque, l’absence du genre, l’absence de l’accord, la familiarité de l’alphabet… On précise aussi les avantages qu’offrent les proximités lexicale, phonétique et logique entre le turc et le français.
De l’attractivité à l’épreuve
Une fois le public gagné, il convient de lui fournir la matière à apprendre de la façon la plus efficace possible. Pour reprendre le titre du récent colloque[3] de l’équipe de recherche PLIDAM/Inalco (Pluralité de langues et des identités : didactique, acquisition, médiation), il s’agit d’apprivoiser la distance pour atteindre un public lointain.
La plus grande difficulté à surmonter au départ pour apprendre la langue turque, c’est la suffixation et l’harmonie vocalique. Nous proposons à cet égard des solutions pédagogiques pour rendre compréhensible le système de suffixation et l’harmonie vocalique en autoformation. A cette fin, les dialogues filmés sont rejoués trois fois :
- en turc sans sous-titres,
- en turc avec les sous-titres en bilingue turc-français,
- phrases prononcées une par une face à la caméra et affichées à côté.
Nous procédons ainsi par étapes, afin de parvenir à une mémorisation et acquisition progressive des phrases de la vie quotidienne.
Par ailleurs, pour ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances ; les vidéos explicatives de la grammaire reprennent les différents éléments linguistiques ou culturels présents dans les dialogues, et fournissent des explications plus théoriques. Elles intègrent systématiquement des tableaux récapitulatifs des règles de l’harmonie, ainsi que la conjugaison complète des verbes.
Phases de conception et de réalisation
Les MOOC sont des formations à distance alliant la pédagogie traditionnelle et les nouvelles technologies : les séquences et les animations doivent servir les objectifs et les méthodes préalablement conçues, puis réalisées techniquement[4].
La phase de conception qui constitue la base du projet, comprend plusieurs étapes : l'analyse du besoin, la rédaction du contenu, la scénarisation, la charte graphique et éditoriale.
Comme la plupart des MOOC français, les MOOC de l'Inalco sont hébergés sur la plateforme France Université Numérique (FUN).
L’ensemble du parcours se compose de trois blocs :
Semaine 0 - Prise en main de la plateforme, le mot de bienvenue, la présentation de la langue et son alphabet,
Semaine 1 à 5 – Bloc central composé de 5 séquences thématiques qui couvre la présentation, l’orientation, la restauration, le logement et les achats. Chaque séquence comporte des dialogues filmés avec des explications grammaticales et lexicales et qui se clôt par des exercices.
Semaine 6 - Contrôle final et bilan général.
Page de présentation d’un cours de MOOC de turc annonçant les objectifs de la semaine 1
La phase de conception consiste d’abord à définir les connaissances à apporter à l’apprenant, les compétences qu’il doit acquérir au cours de cette formation, à cibler les grands thèmes du parcours et à prévoir un enchaînement général du contenu.
Le travail continue par l’élaboration des cinq séquences en suivant une méthode de pédagogie à distance pour que les apprentissages soient les plus efficaces possibles ; il faut toujours garder à l’esprit que l’apprenant est seul devant son écran, face aux tâches pédagogiques à effectuer pour apprendre et éventuellement pour prouver ses acquis afin d’obtenir un certificat.
Le parcours doit donc être conçu en tenant compte des contraintes liées à ce type de formation (distance, durée, modalités…), ainsi que qu’au format du MOOC (5 semaines, absence d’interaction enseignant-apprenant…).
L'écriture du scénario est une étape importante de la conception qui permet de finaliser les textes choisis, de fixer l’enchainement des cours et des séquences, de préconiser l’illustration des contenus (photos, PowerPoint, vidéos). La scénarisation va donc faciliter la fabrication des séquences et le travail de réalisation.
Les exercices
Le MOOC « Kit de contact en langue turque » propose des exercices auto-correctifs. Ils sont répartis sur l’ensemble du parcours et se déclinent en plusieurs types d’exercices :
- QCM
- Textes à trous avec liste déroulante
- Textes à trous avec saisie de mots ou phrases
- Petit texte à écouter (un texte court à la fin de chaque semaine en liaison avec le thème hebdomadaire) et les exercices associés.
Page montrant un exercice en préparation sur la plateforme de FUN.
Les connaissances/compétences
Le MOOC apporte des compétences définies et référencées au niveau A1 du CECRL : il met l’apprenant à même de comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes ainsi que des énoncés simples qui visent à satisfaire des besoins concrets. L’apprenant doit pouvoir se présenter ou présenter quelqu'un et poser à une personne des questions la concernant – par exemple, sur son lieu d'habitation, son métier, ses hobbies, etc. – et doit répondre au même type de questions. Le lexique utilisé est choisi en fonction de sa fréquence et son utilité dans ce type de communication.
L’apprentissage est centré autour des compétences fondamentales :
- Compréhension orale, compréhension écrite : lecture de noms familiers, de mots ainsi que de phrases simples, en vue notamment de s’orienter : indication, panneau, nom de rue, station de bus ou de métro, carte ou menu, fiche…
- Expression orale en interaction et en continu : l'apprenant peut communiquer, de façon simple, à condition que l'interlocuteur soit disposé à répéter ou à reformuler ses phrases plus lentement et à l'aider à formuler ce qu’il essaie de dire. Il peut poser des questions simples sur ce dont il a immédiatement besoin, ainsi que répondre à de telles questions. Il apprendra des expressions de convivialité et de formules de politesse de tous les jours.
- Expression écrite : l’apprenant peut renseigner des détails personnels dans un questionnaire, inscrire par exemple ses coordonnées, son nom, sa nationalité et son adresse sur une fiche d'hôtel.
Perspectives actionnelles
L’apprentissage est centré autour de la réalisation de tâches simples et authentiques de la « vie réelle » rencontrées par le voyageur qui arrive dans le pays avec des motifs professionnels ou de tourisme. Les apprenants doivent pouvoir :
– saluer quelqu’un,
– se présenter : les apprenants sont capables de décliner leur identité, d’épeler leur nom, de donner les coordonnées ; adresse et numéro de téléphone, de dire leur date et lieu de naissance, leur âge, leur sexe, leur état-civil, leur nationalité, d’où ils viennent, ce qu’ils font, de comprendre et demander des informations semblables à leurs interlocuteurs,
– remplir un formulaire simple avec son nom, son adresse, sa nationalité et son état-civil,
– demander son chemin pendant ses déplacements,
– utiliser les formules de politesse comme “excusez-moi”, “s’il vous plaît”, “pardon”, etc., saisir le sens du gestuel par une approche socio-culturelle,
– passer une commande au café, au restaurant, au kiosque, …
– faire un achat, en utilisant des gestes (montrer l’objet) pour appuyer le référent verbal.
Contenu - Ressources pédagogiques
— Environ 1h30 par semaine de travail sur les dialogues et explications grammaticales filmés (fiches imprimables).
— Enregistrements audios : présentation de la langue, petits textes lus.
— Exercices destinés à l’apprentissage et exercices à point pour l’évaluation.
— Ressources d’accompagnement : lexique de chaque séquence (fiches avec images, chaque mot utilisé dans une phrase), éléments culturels, culinaires et musicaux.
— Bibliographie de base.
— Forum : échanges entre apprenants et enseignants / tuteurs.
Les points faibles
Le MOOC est une offre pédagogique à contenu modeste, ayant une grande accessibilité. Dans le même temps, il souffre de la distance et de l’absence physique du couple enseignants-apprenants et absence d’interaction réciproque. Certes, un forum est mis en place pendant la durée de formation pour les échanges avec les enseignants/tuteurs et entre les apprenants venus des différentes aires linguistiques et culturelles pour répondre à leurs questions, mais cela ne remplace pas l’indispensable face à face enseignant-apprenant, surtout pour l’acquisition phonétique. La distance enseignant-apprenant empêche d’entendre les apprenants prononcer. Comment prononcent-ils, par exemple, le i sans point et le r roulé du turc ? Jusqu’à quel point peut-on apprendre une langue seulement en écoutant et écrivant ?
De surcroît, dans le forum, le chat avec les apprenants en direct et en temps réel ne sera pas toujours possible avec les pays lointains à cause du décalage horaire. En revanche, une communauté d’apprenants en ligne constitue une sorte de classe planétaire numérique qui pourra stimuler l’apprentissage. Il y aura discussion/échange et les tâches linguistiques à accomplir sur le forum, une sorte de réseau social où les apprenants du monde entier pourront se retrouver, parler, échanger entre eux, poser leurs questions aux tuteurs.
En guise de conclusion
Le MOOC « Kit de contact en langue turque » est un cours d’initiation à la langue, soutenu par une diversité de ressources. La validation des acquis se fait à travers des exercices notés portant sur la compréhension écrite (volet important sur la grammaire) et très peu sur la compréhension ou l'expression orale.
Le MOOC est donc un outil complémentaire à l’enseignement présentiel pour nos cours à l’Inalco, puisque d’une façon ou d’une autre, nous envisageons de l’intégrer en classe d’initiation. Les dialogues filmés et les vidéos d’explication de grammaire pourront être réutilisés en classe ou au laboratoire de langue, ou bien donnés comme un travail en autoformation.
Le MOOC est gratuit et ouvert à tous. Mais on s’oriente actuellement vers un modèle économique/certification pour ceux qui vont jusqu’au bout de l’offre et qui cherchent à faire valider leurs efforts. Sa valeur pédagogique est de plus en plus mesurée en terme d’ECTS.
Nous sommes donc bel et bien devant une innovation numérique susceptible d’attirer un nombre important de curieux qui peuvent se transformer en apprenants. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les statistiques des premières expériences réalisées à l’Inalco :
Certes, le taux d’abandon est important, mais on peut aussi considérer que l’impact de cet outil sur un public aussi large est non négligeable en regard du nombre d’inscrits dans les filières de langues de l’enseignement supérieur.
Cet outil est un défi pédagogique dans l’ère numérique lancé à l’échelle planétaire. Quand on voit l’explosion du nombre et la diversité des profils d’apprenants, il n’est pas exagéré de le qualifier de médiation pédagogique révolutionnaire. Dans les canaux de transmission des connaissances, le MOOC est une ressource supplémentaire qui doit s‘intégrer désormais dans nos pratiques d’enseignant.
En somme, notre expérience des MOOC confirme que désormais, la culture numérique doit faire partie de notre environnement pédagogique. Il s’agit d’un enseignement à distance certes, mais il accueille les apprenants venant du monde entier, un cas de figure pédagogique qu’on n’imaginait pas il y a seulement quelques années. Le MOOC aujourd’hui est un outil supplémentaire au service de l’apprentissage et de la médiation entre langues et cultures.
Sibel Berk-Bozdemir, Maître de conférences en linguistique et didactique du turc. Membre de l’équipe de recherche PLIDAM (Pluralité des Langues et des Identités en Didactique : Acquisition, Médiations)
Bibliographie
Ollivier, Christian et Puren, Laurent (coord., 2013). Recherches et applications, Le Français dans le monde n°54 (juillet 2013). Mutations technologiques, nouvelles pratiques sociales et didactique des langues.
Szende, Thomas (2016), The Foreign Language Appropriation Conundrum: Micro Realities & Macro Dynamics, Brussels: PIE – Peter Lang.
Quelques sources en ligne
Degache, Christian et Mangenot, François (coord., 2007), Echanges exolingues via Internet et appropriation des langues-cultures, Lidil n°36 (décembre 2007). Grenoble, Ellug.http://alsic.revues.org/134
Dejean-Thircuir, Charlotte et Ciekanski, Maud (coord., 2012), Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication, Vol. 15, n°2, numéro spécial Epal 2011.
http://alsic.revues.org/2489
Nissen, Elke et Blin, Françoise (coord., 2008), Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication Vol. 11, n°1, numéro spécial Epal 2008.
http://alsic.revues.org/2489
Notes
[1] Le projet de MOOC “Kit de contact en langues orientales” de l’Inalco compte huit langues : l’arabe, le chinois, le tchèque, l’hébreu, le malgache, le birman, le mazatèque, et le turc. Les trois premiers sont déjà lancés en 2017, les autres en cours de réalisation.
[2] Le Cadre européen commun de référence pour les langues - Apprendre, Enseigner, Évaluer.
[3] “Distances apprivoisées. L’enseignement confiné des langues étrangères”, Colloque international organisé par PLIDAM en ligne, les 17 et 18 juin 2020.
[4] La plateforme sur laquelle les MOOC sont préparés et mis en ligne, FUN (France Université Numérique) utilise la technologie Open edX (open source).