Les études sahéliennes sans œillères : regards critiques et pluridisciplinaires
Le Sahel, désigné « arc de crise » dans le Livre Blanc de la république française de 2008 (Foucher, 2012), est une région dont la complexité tend à échapper au terme de « crise », qui, précisément, selon Morin (2012) « au lieu d’éveiller, contribue à endormir ». En effet, appliqué à toutes les composantes de la vie (crises politiques, économiques, religieuses, migratoires, alimentaires et démographiques), les discours médiatiques, politiques, mais aussi les recherches scientifiques, et, partant, les représentations sur le Sahel, connaissent aujourd’hui une véritable polarisation autour des crises, laquelle polarisation occulte immanquablement les réalités du terrain. Lorsqu’on examine par exemple les thèses soutenues sur la question du Sahel en 2023 en France, celles-ci concernent, à quelques exceptions près, les sciences économiques, politiques et environnementales, avec pour thème prédominant, la crise. Ainsi, assiste-t-on à une sorte d’amplification, par les acteurs politiques, médiatiques et scientifiques, de la pensée unique.
Pour Bonnecase et Brachet (2013), ce paradigme est lié au contexte d’inaccessibilité du terrain décrétée par nombre d’institutions scientifiques et diplomatiques, le résultat étant une « production croissante d’expertises reposant sur des points de vue distants sur le Sahel, et une raréfaction des travaux reposant sur une base empirique ». Or, comme le précisent ces deux auteurs, « les manifestations de crise même les plus patentes ne sauraient être comprises dans leur complexité dès lors qu’elles sont appréhendées isolément, comme si elles faisaient sens en elles-mêmes ou qu’elles marquaient une nette rupture nécessairement par rapport à leur environnement ordinaire, social et historique ». D’où la nécessité, non seulement d’une pluralité de lieux d’énonciation, qui, en termes décolonial et postcolonial, correspondent aux lieux depuis lesquels la connaissance est produite, mais aussi d’une diversité d’approches disciplinaires.
Par exemple, Lefebvre (2015) a démontré en étudiant les pratiques de scarifications au Sahel central au XIXe siècle que, contrairement aux discours coloniaux dans lesquels ces pratiques apparaissent comme usages figés et immuables par lesquels on aurait toujours, et de la même manière, figure l’ethnie sur la peau, les scarifications sont en réalité le reflet de parcours de vies s’inscrivant dans des procédés d’identification des individus.
Ainsi, sans exclure les disciplines majoritaires sus-citées, tout à fait indispensables à une compréhension profonde du Sahel, quels regards à la fois critiques et complémentaires offrent des disciplines telles que l’anthropologie, l’histoire ou encore la linguistique en vue d’équilibrer le discours dominant ? Quels discours alternatifs permettent de se départir des lectures univoques et très souvent réductrices ? Et quel est le rôle des humanités numériques (notamment des plateformes de données de la recherche en sciences humaines et sociales tels que HAL, LaCAS, Isidore, etc.) dans la gestion, l’interprétation voire la réinterprétation des données sur le Sahel ? Ces questions, non exhaustives, feront l’objet de cette journée consacrée aux études sahéliennes.
ORGANISATION
Liliane Hodieb, Inalco-PLIDAM-LACAS
COMITE SCIENTIFIQUE
Sandra Bornand, CNRS-LLACAN
Peter Stockinger, INALCO-PLIDAM
Cécile Van den Avenne, EHESS-IMAF
Leonardo Villalón, Université de Floride-Sahel Research Group
PROGRAMME
9h : Ouverture
Liliane Hodieb, responsable scientifique de la journée
Delphine Allès, Vice-Présidente de l’Inalco
Peter Stockinger, CNRS-CIS, INALCO-PLIDAM, responsable du projet LaCAS
09h30-10h30 : Séance 1
Présidence : Damien Simonneau, INALCO-CESSMA
Jean Schmitz, CNRS-IMAF, Djihads au Sahel (Mali, Nigeria) et crises agro-pastorales au regard de deux siècles d’États musulmans (XIXe-XIXe siècle) : retour réflexif
Emilie Laffiteau, IRIS, Quelle résilience économique au Sahel face aux chocs récents ? Analyse comparée sur la base de trois indicateurs
Pause-café (20 min)
10h50-11h50 : Séance 2
Présidence : Liliane Hodieb, INALCO-PLIDAM
Sandra Bornand et Ide Hamani, CNRS-LLACAN, « C’est l’affaire de la patrie » : penser la crise au Niger à partir d’une fresque épique
Yaëlle Biro, INHA : Collecter le passé sahélien : Construction de mythes et sources primaires
Pause-déjeuner
14h-15h50 : Séance 3
Présidence : Shahzaman Haque, INALCO-PLIDAM
Alice Degorce, IRD-IMAF et Pietro Forsenatti, IMAF, Réfugié en son propre pays. Retours sur une enquête collective sur les déplacés internes à Ouagadougou
Emmanuel Garnier, Université Paris-Saclay, Prédation, domination et gestion des risques dans la ceinture sahélienne 1880s-1960s
Leonardo Villalón, Université de Floride, Sahel Research Group, Collaboration et interdisciplinarité dans l'étude du Sahel contemporain : défis et récompenses
Pause-café (20 min)
16h10-16h50 : Séance 4
Liliane Hodieb, INALCO-PLIDAM-LaCAS, Les études sahéliennes et la crise : une analyse textométrique des données de la recherche
Bastien Sepulveda, INALCO-LaCAS, La plateforme LaCAS pour les études aréales
16h50 - 17h15 : Perspectives
17h15 : Conclusion par Marianne Fauchereau, directrice de la DIRVED