AXE 2 : PRODUCTION ET DIFFUSION DES BIENS CULTURELS
Coordination : Catherine Géry, Anne Madelain, Catherine Servant, Marie Vrinat-Nikolov
Convoquant à la fois l’histoire culturelle, l’histoire des littératures et du fait littéraire, l’histoire du traduire, de la traduction et de l’édition, l’histoire de l’enseignement, l’histoire des médiations et des circulations transnationales, l’histoire matérielle, l’axe « Production et diffusion des biens culturels » adopte une perspective diachronique (du XVIIIe au XIXe siècles) propre à faire surgir dans le champ académique contemporain des savoirs, des problématiques, des objets, des textes, des auteurs et des autrices encore restés à la périphérie de la recherche sur les espaces est-européens et euro-asiatiques. Le contexte politique et identitaire conflictuel qui est celui de la zone couverte par le CREE, les transformations actuelles liées aux nouveaux media et à la consommation culturelle sont autant de phénomènes nécessitant une juste compréhension et une réévaluation des modes de construction et de diffusion des savoirs et des biens culturels matériels et immatériels, et en premier lieu des littératures. Cette réflexion est menée en croisant les approches transdisciplinaires, transaréales et intermédiatiques.
STRUCTURE DE l'AXE
Sous-axe 2.1. Traduire, éditer, diffuser
- GR 2.1.1. L’Europe médiane à travers l’édition et le texte de presse : corpus, circulations, représentations (XIXe-XXe siècles)
- GR 2.1.2. La circulation transnationale des textes au prisme des acteurs, des outils et des lieux
Sous-axe 2.2. Construction des savoirs en sciences humaines et sociales
- GR 2.2.1. Histoire de l’enseignement et de la construction des savoirs
- GR 2.2.2. Pour la constitution d’un matrimoine littéraire et artistique
- GR 2.2.3. Penser et traduire les littératures
Sous-axe 2.1 : Traduire, éditer, diffuser
Responsables : Anne Madelain & Catherine Servant
Ce sous-axe s’intéresse aux réseaux et aux stratégies d’une variété d’acteurs (traducteurs, critiques d’art et de littérature, bibliothécaires, éditeurs, etc.), ainsi qu’aux rapports complexes entre États, autonomie professionnelle et transnationalisation de la vie intellectuelle et culturelle. Il vise à établir des corpus (d’objets parfois fragiles), à cartographier des circulations souvent négligées par l’histoire culturelle, à explorer des angles morts, des savoirs invisibilisés (notamment ceux de la traduction), des productions minorées (presse allophone, étudiante ou encore en exil), mais aussi à questionner des enjeux politiques contemporains du champ éditorial.
Dans une démarche résolument pluridisciplinaire et comparative, il s’agit de faire dialoguer des approches relevant de l’histoire culturelle et littéraire, de la socio-histoire et de la sociologie. Du fait du contexte multinational de l’Europe médiane ainsi que de l’espace russe, soviétique puis post-soviétique, de leur situation souvent vécue comme périphérique vis-à-vis des centres politiques et culturels occidentaux, du fait aussi des bouleversements étatiques qu’ils ont connus depuis le XIXe siècle, nos espaces constituent un laboratoire particulièrement intéressant pour étudier ces phénomènes.
Le sous-axe comprend deux groupes de recherche et implique 2 titulaires : Catherine Servant et Anne Madelain, 3 doctorantes : Clarisse Brossard, Anne Kasprzak, Daria Petushkova ; 1 jeune docteure : Anastasiia Kozyreva ; 2 associés : Alena Kotšmídová, Nicolas Pitsos.
GR 2.1.1. L’Europe médiane à travers l’édition et le texte de presse : corpus, circulations, représentations (XIXe-XXe siècles)
- Le débat sur l’art et la formation de l’espace public dans les Pays tchèques et en Europe centrale (institutions, réseaux, pratiques) (Catherine Servant)
- La presse allophone dans les villes d’Europe médiane (Catherine Servant, Nicolas Pitsos)
- La presse étudiante en résistances et dissidences au XXe siècle en Europe médiane (Catherine Servant, Nicolas Pitsos)
- La reconfiguration de l’espace de et dans la littérature polonaise en exil – une approche spatiale du « dispositif Kultura » et de sa production (Anne Kasprzak)
- La mise en place d’un système scolaire laïque en yiddish, d’un réseau éditorial et de bibliothèques yiddish à l’époque de la République populaire d’Ukraine (1917-1920) (Clarisse Brossard)
GR 2.1.2. La circulation transnationale des textes au prisme des acteurs, des outils et des lieux
- Langues et sciences sociales : écrire, traduire, diffuser (Anne Madelain)
- Les traductrices et traducteurs de l’Europe médiane des XIXe et XXe siècles, sur lesquels se penchent (Nicolas Pitsos et Catherine Servant)
- Les traductions illustrées de « classiques russes » du XIXe siècle (Anatasia Kozyreva)
- Le roman Pierre de Provence et la belle Maguelonne (XVe siècle) et ses traductions en allemand et tchèque au XVIe siècle (Alena Kotšmídová)
- L’internationalisation de la vie intellectuelle en Russie post-soviétique (Daria Petushkova)
Mots-clés :circulation des textes ; traduction ; édition ; presse allophone ; médiations culturelles
2.1.1. L’Europe médiane à travers l’édition et le texte de presse : corpus, circulations, représentations (XIXe-XXe siècles)
Responsables : Catherine Servant & Nicolas Pitsos
Plusieurs orientations de recherche se dessinent au sein de ce groupe centré sur la presse et le phénomène éditorial. Les enquêtes informatives, biographiques et prosopographiques, visant parfois à la constitution de bases de données, donnent lieu à des enquêtes ciblées : types de publications, personnes qui les ont initiées ou ont eu une fonction de médiateur, réseaux qui les ont portées, relations inter-revues, informations sur le lectorat. Ensuite, l’analyse des contenus de ces publications conduit à nombre de questionnements : rôle de ces organes dans le mouvement général de circulation des personnes et des idées, transferts culturels auxquels ils ont donné lieu, identités métissées qui en ressortent, stratégies de leurs acteurs dans la promotion de prérogatives idéologiques et esthétiques, mais aussi dans la construction des savoirs, la « diplomatie culturelle » ou encore la (re)production de représentations. Il est à noter que ce type d’inventaire poursuit aussi, in fine, un objectif de conservation.
Les travaux de Catherine Servant sur la critique littéraire tchèque s’inscrivent en partie dans la réflexion menée, au sein d’une équipe de dix-neuvièmistes de l’Institut littéraire de l’Académie tchèque des sciences, sur le débat sur l’art et la formation de l’espace public dans les Pays tchèques et en Europe centrale (institutions, réseaux, pratiques). L’objectif des publications et ateliers issus de ce creuset est d’étudier la formation d’espaces publics ou semi-publicsaccueillant et animant les discussions sur l’art, la « scène médiatique » qui se forme à partir des réseaux de communication – périodiques, critique littéraire et artistique, traductions, expositions, réclame, espaces polémiques –, les médiateurs de ces échanges, enfin, l’autonomisation de ces espaces en tant que condition préalable à l’apparition graduelle d’une vie publique moderne, ainsi qu’à l’émergence et l’articulation progressives de tendances modernistes en art.
Le projet sur la presse allophone dans les villes d’Europe médiane, porté par Nicolas Pitsos et Catherine Servant et mené dans le sillage du Réseau Transfopress, se fixe pour objectifs de relever les lieux associés à la production et à la circulation de ces périodiques, de repérer les acteurs qui les ont initiés, alimentés et fait vivre, de répertorier les formes de leur rédaction et les modèles éditoriaux qu’ils ont pu introduire, leurs réseaux de distribution, la vie culturelle et économique spécifique dont ils ont été les vecteurs. L’étude des revues, magazines et journaux fondés par ou pour les différentes communautés linguistiques, devrait permettre de poser les jalons d’une histoire polyphonique de la presse publiée dans des villes comme Bucarest, Prague, Salonique, en contribuant à une meilleure connaissance de la topographie de ces villes et de l’évolution de leur paysage socioculturel.
De la veille de la Grande Guerre à la fin de la Guerre Froide, des étudiants ont joué un rôle essentiel dans l’expression et l’organisation de la résistance et / ou dissidence aux régimes politiques établis en utilisant les canaux de la presse et de l’édition. Initié par Catherine Servant et Nicolas Pitsos, le projet sur La presse étudiante en résistances et dissidences au XXe siècle en Europe médiane prend pour objet ce phénomène éditorial, peu abordé par l’histoire culturelle contemporaine. Des mobilisations contre l’ordre impérial austro-hongrois ou russe aux protestations contre les régimes autoritaires post-1945, en passant par la résistance aux dictatures de l’entre-deux-guerres ou les feuilles clandestines sous l’Occupation, les réactions estudiantines s’enchaînent dans le contexte géo-historique de l’Europe médiane, relayées, voire initiées par une presse dont on étudiera au premier chef le corpus, mais encore les différents visages, acteurs et réseaux.
Dans sa thèse sur La reconfiguration de l’espace de et dans la littérature polonaise en exil – une approche spatiale du « dispositif Kultura » et de sa production, Anne Kasprzak analyse les dimensions internationales de l’Institut Kultura et de la littérature qu’il a fait paraître entre 1946 et 2000. La démarche s’inscrit dans un questionnement théorique contemporain : Peut-on écrire une histoire mondialisée de la littérature polonaise en exil ? Réciproquement, cette dernière s’inscrit-elle dans une histoire mondiale de la littérature, et comment ? Les analyses s’appuient sur la sociologie, l’histoire et la littérature ; les œuvres d’auteurs polonais importants constituent le corpus littéraire. Ce travail se fonde aussi sur un ensemble documentaire composé d’archives liées à ces écrivains et à la maison d’édition Kultura.
En examinant dans sa thèse La mise en place d’un système scolaire laïque en yiddish, d’un réseau éditorial et de bibliothèques yiddish à l’époque de la République populaire d’Ukraine (1917-1920), Clarisse Brossard analyse deux périodiques en yiddish : la revue pédagogique Shul un lebn et la revue littéraire Bikher-velt. Dans un contexte où la mise en place de la politique culturelle juive se déroule en coopération avec les autorités ukrainiennes, les questions que se posent les acteurs sur les modalités d’un nouvel État multinational portent sur : l’exercice des fonctions étatiques ou d’intérêt général dans un pays en proie à la guerre, les conditions de publication et d’outillage des pédagogues, les possibilités d’aide aux enfants victimes de pogroms et à leurs familles. Or, sont également impliqués ici des questionnements didactiques et linguistiques propres à la communauté juive.
2.1.2. La circulation transnationale des textes au prisme des acteurs, des outils et des lieux
Responsables : Anne Madelain & Catherine Servant
Ce groupe de recherche réunit trois projets collectifs et trois projets individuels. Si plusieurs périodes historiques sont concernées, les composantes du projet portent une attention particulière aux moments de reconfigurations politiques, technologiques, sociétales (sorties de guerres, révolutions, post-socialisme, etc.), qui modifient les outils et les contextes. La matérialité du processus de circulation – souvent invisibilisée – est au centre de l’attention : la traduction comme lieu de reformulation conceptuelle et langagière (donc d’œuvres littéraires ou de savoirs nouveaux) et de légitimation, l’objet-livre, les formes de transnationalisation du champ éditorial.
Le projet Langues et sciences sociales : écrire, traduire, diffuser, porté par Anne Madelain, explore les paradoxes contemporains de la circulation transnationale des sciences humaines et sociales bouleversée par la révolution numérique, dans un « espace global » souvent imaginé comme monolingue, et questionne le rôle de la traduction dans l’émergence et la révision des connaissances. Il a une dimension réflexive et pragmatique par le partage d’expériences des acteurs des processus concernés. L’entrée par l’Europe médiane et les contextes postsocialistes alimente une réflexion trans-aréale, menée au sein du séminaire collectif du même nom avec des spécialistes d’autres aires culturelles à l’Inalco, des chercheurs ainsi que des professionnels de l’édition, des traducteurs spécialisés, des bibliothécaires.
Qu’ils soient considérés comme des passeurs, des vecteurs de transferts culturels ou des agents participant aux échanges littéraires internationaux, les traductrices et traducteurs de l’Europe médiane des XIXe et XXe siècles, sur lesquels se penchent Nicolas Pitsos et Catherine Servant, sont par excellence des figures de la médiation et de la circulation des textes. Sur les plans linguistique, culturel ou sociologique, ils initient une société « cible » à des œuvres littéraires, non sans influer sur leur forme, leur signification et leur réception. À travers une approche principalement biographique et prosopographique, il s’agit de s’intéresser à la façon dont ces personnalités ont pu introduire des corpus littéraires d’un pays à l’autre de l’Europe médiane ou à l’extérieur de cet espace, ou, inversement, faire connaître un corpus venant d’ailleurs.
En coopération avec plusieurs chercheurs investis dans les réseaux précédemment cités, Nicolas Pitsos aborde également le vaste domaine des bibliothèques publiques et privées sur l’Europe médiane dans l’espace francophone. Il s’agit de contribuer à en écrire l’histoire en reconstituant les trajectoires de leurs acteurs (donateurs, bibliothécaires, bienfaiteurs), en retraçant les projets fondateurs (bâtiments construits ou déjà existants convertis en lieux d’accueil des collections), en interrogeant les outils et méthodes de classification et de constitution des collections, enfin, en étudiant la manière dont ces institutions ont été implantées dans un tissu urbain et social local, bénéficiant parfois d’un rayonnement à une échelle plus large.
Anatasia Kozyreva étudie un corpus de traductions illustrées de « classiques russes » du XIXe siècle, à la fois comme des moyens de faire circuler des textes à travers les frontières et comme des dispositifs interprétatifs qui permettent un renouveau de la réception des œuvres littéraires. En interrogeant les théories de la réception développées au sein de l’École de Constance, ce projet porte une attention particulière à la concrétisation de l’effet produit par une œuvre littéraire, telle qu’elle se réalise au sein de l’objet-livre, et à la façon dont la poétique se conjugue à la matérialité de la production littéraire. Cette recherche postdoctorale aborde également les problèmes de la classicalisation des auteurs dans le contexte transnational, en combinant l’analyse littéraire et artistique avec l’exploration des pratiques et des enjeux socio-économiques.
Alena Kotšmídová prolonge son travail mené en thèse sur le roman Pierre de Provence et la belle Maguelonne (XVe siècle) et ses traductions en allemand et tchèque (XVIe siècle) en s’intéressant, principalement dans le contexte centre-européen, à la succession des remaniements dont l’œuvre a fait l’objet, témoignant du processus d’appropriation culturelle par divers publics au cours de quatre siècles. Est prévue l’édition, en collaboration avec Jean-Marie Fritz (Université de Bourgogne), du Mystère de Pierre et Maguelonne. Ce travail est complété par l’analyse d’un corpus de chansons de colportage liées au thème, apparues dans les pays tchèques, terrain où ce genre était particulièrement fleurissant (kramářské písně, broadside ballads).
À la chute de l’URSS, l’effondrement du système étatique occasionne dans le champ éditorial russe des changements structurels, idéologiques et économiques générateurs d’un véritable « appel d’air ». Daria Petushkova étudie dans sa thèse l’internationalisation de la vie intellectuelle en Russie post-soviétique, marquée par une croissance exponentielle des traductions, à partir d’un corpus de revues et de maisons d’édition « intellectuelles » actives durant la décennie 1990. Ce travail vise à cartographier l’influence exercée par les politiques de traduction (translation policies) menées par des institutions internationales et locales sur le champ de production intellectuelle et scientifique en Russie postsoviétique. En s’appuyant sur des archives, une enquête à la fois qualitative et quantitative, une analyse des réseaux et une prosopographie des acteurs, il s’agit de mettre en lumière les stratégies d’importation des SHS en Russie, le rôle joué par des intermédiaires internationaux et les conditions politiques, sociales et culturelles de la circulation des savoirs.
Sous-axe 2.2 : Construction des savoirs en shs
Responsables : Cécile Folschweiller, Catherine Géry & Marie Vrinat-Nikolov
La construction et la transmission des savoirs scientifiques, qu’ils soient historiques, linguistiques littéraires ou géopolitiques, fait l’objet de ce sous-axe qui les envisagera de façon endogène (construction des savoir à l’intérieur de la zone) et exogène (construction des savoirs sur la zone). Nous nous intéresserons aussi bien aux savoirs et aux modalités de leur construction qu’aux différentes approches pour les questionner et en saisir les enjeux, les sciences humaines et sociales ne cessant d’évoluer dans leurs tentatives de dresser la cartographie des connaissances.
Le sous-axe comprend trois groupes de recherche et implique 9 titulaires : Natalia Bernitskaïa, Piotr Biłos,Antoine Chalvin, Sylvia Chassaing, Cécile Folschweiller, Catherine Géry, Irina Gridan, András Kanyadi, Marie Vrinat-Nikolov ; 2 doctorants : Anne Kasprzak, Antoine Nicolle ; 3 jeunes docteurs : Katarzyna Jopa, Anastasiia Kozyreva, Pierre-Étienne Royer ; 7 associés : Olga Blinova, Françoise Defarges, Elena Gueorguieva, Julieta Rotaru, Galina Subbotina, Aurore Tirard, Anatoly Tokmakov.
GR 2.2.1. Histoire de l’enseignement et de la construction des savoirs sur l’Europe médiane
- L’histoire de l’enseignement du roumain et de l’estonien en France (Cécile Folschweiller et Antoine Chalvin)
- Les fondateurs de l’enseignement du rromani en France (Aurore Tirard et Julieta Rotaru)
- Les pionniers de la slavistique française et la figure d’André Vaillant (Natalia Bernitskaïa)
- L’histoire non officielle en Roumanie communiste (Irina Gridan)
GR 2.2.2. Pour la constitution d’un matrimoine littéraire et artistique
- Les médiatrices de la littérature russe (Olga Blinova et Catherine Géry)
- Du matrimoine à la sororité – les femmes et les institutions littéraires alternatives dans la Russie contemporaine (Sylvia Chassaing et Antoine Nicolle)
- Le Texte féminin de la littérature classique russe, 1759-1890 (Catherine Géry)
- Le rôle des femmes dans la naissance de la société moderne russe (Galina Subbotina)
- Les Écrivaines et traductrices bulgares (Elena Gueorguieva)
- Les écrivaines russes dans la modernité : Anna Mar (1887-1917) (Françoise Defarges)
- Écrivaines russes et soviétiques : le cas Nina Sadour (1952-2023) (Anatoly Tokmakov)
GR 2.2.3. Penser et traduire les littératures
- Penser et historiciser le traduire (Marie Vrinat-Nikolov)
- L’historiographie littéraire : état des lieux et perspectives (Marie Vrinat-Nikolov et Catherine Géry)
- Formes, expériences et quête de liberté : La littérature polonaise dans un contexte global (Piotr Biłos, Katarzyna Jopa et Anne Kasprzak)
- Le loubok comme objet intermédiaire et intermédial : penser la littérature à travers les images (Anastasia Kozyreva)
- Le conte : adaptabilité, interdisciplinarité, permanence et métamorphoses dans la société contemporaine (Piotr Bilos et András Kanyadi)
- Nikolaï Gogol construit par le XXe siècle (Pierre-Étienne Royer)
Mots-clés : construction des savoirs ; historiographie ; matrimoine ; traduction ; littérature comparée
2.2.1. Histoire de l’enseignement et de la construction des savoirs
Responsables : Cécile Folschweiller & Antoine Chalvin
Ce groupe de recherche vise à éclairer les enjeux complexes de la construction et de la transmission des savoirs sur l’Europe médiane et en Europe médiane, à travers une série d’études centrées sur des objets et des contextes spécifiques, mais dont le point commun est de s’intéresser à la fois aux processus, aux acteurs et aux contextes (historique, politique, social, institutionnel) dans lesquels s’exerce leur activité, ainsi qu’aux résultats de celle-ci.
Un premier ensemble de travaux concerne l’histoire de l’enseignement et de la construction des savoirs sur l’Europe médiane en France. La connaissance et l’enseignement des langues et des cultures de l’Europe médiane font progressivement leur entrée dans le monde savant et universitaire français au XIXe siècle. Dans la foulée des travaux initiés par Antoine Marès notamment, il s’agit d’en suivre les développements, en particulier à l’École des Langues Orientales mais pas seulement, afin de cerner les contextes dans lesquels ces savoirs se constituent, la manière dont ils s’organisent dans le paysage disciplinaire mais aussi institutionnel, ceux qui les produisent et les transmettent, ainsi que les méthodes employées, les publics visés et les résultats obtenus. Il s’agit également d’appréhender l’évolution de ces savoirs en lien avec l’histoire des pays concernés : de l’affirmation des nationalités à l’intégration européenne en passant par les conflits locaux et mondiaux et l’effondrement des blocs, les communautés savantes réagissent aux mutations sociales et politiques.
Dans ce cadre, Cécile Folschweiller s’intéresse plus particulièrement au cas du roumain et de la Roumanie, Antoine Chalvin à l’estonien et à l’Estonie, en particulier aux premiers enseignants de cette langue aux Langues O’, Aurore Tirard et Julieta Rotaru au rromani, notamment aux trois fondateurs de son enseignement en France : Armand Minard (1906-1998), Jules Bloch (1880-1953) et Pierre Meille (1911-1963). Natalia Bernitskaïa s’intéresse quant à elle aux pionniers de la slavistique française, notamment à la figure d’André Vaillant (1890-1977), dont plusieurs découvertes se révèlent aujourd’hui d’actualité dans les études slaves, et souhaite, ce faisant, interroger les frontières entre la philologie, la grammaire et la linguistique.
Le dernier projet s’intéresse à la construction des savoirs en Europe centrale médiane par le cas de la Roumanie : Irina Gridan concentre ses recherches sur l’histoire non officielle en Roumanie communiste. Pour gagner en légitimité politique, les dirigeants roumains optent dans les années 1960 pour un communisme national, puis ouvertement nationaliste. L’histoire officielle est remaniée, instrumentalisée dans le sens d’une affirmation identitaire. Elle coexiste cependant avec une historiographie plus audacieuse encore, qui aborde sans tabou les sujets les plus épineux – notamment la question des frontières et celle des relations avec l’URSS. À la demande des autorités, le Service de documentation du ministère des Affaires étrangères mène des recherches, rédige des synthèses qui circulent en « circuit fermé ». Ces travaux sont parfois écrits par des historiens bien connus, auteurs par ailleurs de publications parfaitement orthodoxes. Interroger ces « histoires à usage interne » dans le cas roumain, puis dans une perspective comparatiste permettra d’aborder la question plus vaste des usages politiques de l’histoire en régime autoritaire.
2.2.2 : Pour la constitution d’un matrimoine littéraire et artistique
Responsable : Catherine Géry
Ce groupe de recherche a pour objectif la constitution d’un matrimoine sur l’aire culturelle de l’Europe médiane et orientale (Russie) et ambitionne d’en établir les bases historiques et épistémologiques. Il s’agira de réfléchir, à partir des questions bien connues de « patrimonialisation », aux modalités et aux effets dans l’espace socioculturel contemporain d’une « matrimonialisation ». La réflexion sera menée à partir de cas à la fois singuliers et exemplaires ou dans une perspective plus large et s’inscrivant dans le temps long, prenant en compte des fonctions féminines de médiation ou de création ; il envisagera aussi les façons de faire vivre ce matrimoine dans le monde contemporain. Le projet prendra en compte le rapport des créatrices et médiatrices aux institutions, traditionnelles ou alternatives, qui permettent leur visibilité et créent la valeur et le capital symbolique littéraires. Le groupe de recherche s’articule autour de plusieurs projets, individuels ou collectifs.
Les médiatrices de la littérature russe (Olga Blinova et Catherine Géry). Après deux Journées d’études internationales et une publication dans la revue Slovo consacrées aux Médiatrices dans le long XIXe siècle et à l’époque du modernisme russe au cours du précédent quinquennal, le projet se poursuit sur la période soviétique et contemporaine. Il réunit des chercheuses et des chercheurs qui s’intéressent à la participation des femmes éditrices et rédactrices en chef, traductrices, critiques littéraires etc. dans le processus littéraire en Russie et en Union soviétique. Ayant un fort potentiel d’influence sur le processus littéraire, aussi bien au niveau du choix des auteurs et des textes (à analyser, à traduire, à éditer ou à promouvoir), qu’au niveau de celui des collaborateurs (dans le cas des éditrices et rédactrices en chef des revues littéraires ou des revues ayant des rubriques littéraires), ces pratiques médiatrices, souvent minorées dans l’historiographie littéraire et dont les femmes furent les agents ignorés, ont pourtant façonné l’espace littéraire russe.
En lien avec le projet précédent, celui de Sylvia Chassaing et Antoine Nicolle, Du matrimoine à la sororité – les femmes et les institutions littéraires alternatives dans la Russie contemporaine, a pour objectif de dresser un panorama des initiatives éditoriales russes contemporaines initiées et dirigées par des femmes, ayant pour but de rééditer, traduire ou produire des textes, y compris dans le cadre d’ateliers d’écriture adossés à des maisons d’édition. Le projet prévoit, entre autres, l’organisation de rencontres publiques avec les actrices de ces initiatives.
Dans la continuité du précédent quinquennal, le projet de Catherine Géry Le Texte féminin de la littérature classique russe, 1759-1890 explore la littérature russe du XIXe siècle, identifié comme le « grand siècle russe » par l’histoire littéraire, du point de vue des « autres » des écrivains russes : les écrivaines. Le « Texte féminin de la littérature classique russe » est en effet un espace textuel encore à peine exploré et resté sous les radars de l’historiographie. Nous conférons ici au « Texte » son sens barthésien, mais nous l’employons aussi en analogie avec le concept de « Texte pétersbourgeois » du sémioticien Vladimir Toporov : le Texte est ici un hypertexte qui englobe des œuvres et des autrices diverses dans un ensemble signifiant dont il s’agit de déterminer les principaux paradigmes. Nous nous intéresserons également à la façon dont ce Texte féminin peut s’intégrer à une histoire de la littérature russe, et ce que cette intégration fait aux outils et aux méthodologies de l’histoire littéraire.
Le projet de Galina Subbotina Le rôle des femmes dans la naissance de la société moderne russe pose les questions suivantes : quelle est la place des femmes dans la formation de la société moderne de l’Empire russe et selon quelles modalités les transformations sociales (dont la nouvelle distribution des rôles genrés) s’expriment-t-elles dans les textes autobiographiques des écrivaines russes de l’époque romantique ?
Dans le projet de Elena Gueorguieva Écrivaines et traductrices bulgares, les écrivaines et les traductrices bulgares de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle seront envisagées dans la double optique de la place des autrices dans l'histoire littéraire et des représentations des genres dans leurs œuvres. Elena Gueorguieva s’intéressera tout particulièrement aux histoires familiales racontées par le prisme des différentes générations des femmes et aux images de la maternité.
Françoise Defarges travaille sur le projet Écrivaines russes dans la modernité : Anna Mar (1887-1917). Anna Mar, qui a surtout utilisé en littérature des formes courtes (« Miniatures », « « Cartes postales »), a également été la première rédactrice de scénarios de films en Russie. Elle s’inscrit dans les mouvements modernistes russes, au croisement de la littérature et du cinéma. En cela, son parcours est symptomatique de la rencontre des arts en Russie dans le premier quart du XXe siècle.
Dans le projet d’Anatoly Tokmakov Écrivaines russes et soviétiques : le cas Nina Sadour (1952-2023), la trajectoire de l’écrivaine Nina Sadour est envisagée à travers son œuvre dramatique et les modalités de la réécriture de soi. La recherche s’inscrit dans l’analyse des phénomènes de marginalisation et de transgression repérables dans les relations de la littérature féminine avec les mouvements littéraires dominants dans la Russie du XXe siècle.
2.2.3 : Penser et traduire les littératures
Responsables : Marie Vrinat-Nikolov & Catherine Géry
Au sein de l’Inalco, riche de ses 103 langues-littératures non occidentales, le traduire se transmet et se fait en tant que pratique réflexive qui interroge la poétique et l’historicité uniques du texte littéraire en mettant en question les idées reçues et lieux communs qui entravent cette pratique non seulement dans sa réflexivité, mais aussi dans sa créativité. Le traduire s’ancre non pas dans la langue mais dans la littérarité des textes : il ne saurait donc se concevoir sans une pensée du fait littéraire. Or, penser les littératures implique de penser l’historiographie littéraire avec ses processus de canonisation, mais aussi ses phénomènes d’exclusion. Proposer des modèles et des formes contemporaines pour penser la littérature est l’une des lignes de force de ce projet : soit en envisageant les littératures nationales en contexte global, soit en proposant des approches régionales de l’histoire littéraire. L’interdisciplinarité et l’intermédialité sont aussi l’un des moyens de repenser l’historiographie et la création de la valeur littéraires, comme de décloisonner les catégories habituelles de la pensée sur la littérature.
Le groupe de recherche s’articule autour de trois volets :
Marie Vrinat-Nikolov travaille sur le projet Penser et historiciser le traduire. Parler de traduire, et non de traduction, c’est assumer une position traductive – celle d’un sujet auteur de sa traduction – qui se réclame de l’héritage d’Henri Meschonnic et qui l’envisage en tant qu’acte à la fois poétique, éthique et politique qui entretient des relations plurielles avec les langues, l’écriture, la lecture, le texte dans sa matérialité, le livre, etc. En ce sens, la pensée du traduire dialogue avec d’autres épistémès, dont la philosophie, la sociologie, l’histoire, la littérature comparée, l’anthropologie. Aujourd’hui, la pensée du traduire, qui a bénéficié des avancées notamment des études post-coloniales et les études de genre, est confrontée à de nouveaux défis qu’elle n’a pas le droit d’ignorer, les plus importants étant certainement l’impact de l’intelligence artificielle sur la pratique non seulement traductive, mais aussi éditoriale, l’enrichissement des langues confrontées à la multiplication de textes littéraires évoquant le trans-genre ou réfutant la binarité du genre (le queer).
Marie Vrinat-Nikolov et Catherine Géry portent le projet L’historiographie littéraire : état des lieux et perspectives. Après les remises en question parfois radicales subies au XXe siècle par l’histoire littéraire sous l’influence de la pensée structuraliste puis des studies, l’apparition et le développement de nombreux systèmes théoriques appelant à déconstruire la narration historique traditionnelle sur les littératures et à sortir du cadre strictement national ou du cadre impérial, le XXIe siècle est celui de la reconstruction de cette historiographie. Nous proposons solutions pratiques à l’écriture de l’histoire littéraire dans les aires culturelles de l’Europe médiane et orientale. L’ensemble de la zone étant secoué par de multiples crises et conflits qui interrogent les frontières géographiques et culturelles et instrumentalisent le national, notre réflexion se situera aussi bien sur une ligne diachronique que synchronique qui prendra en compte la façon dont le contexte contemporain bouscule la construction des savoirs littéraires.
Suivent quatre projets, collectifs ou individuels, réunis autour de la thématique La littérature dans une perspective intermédiale, transtemporelle ou transnationale.
Le projet Formes, expériences et quête de liberté : La littérature polonaise dans un contexte global, est porté par Piotr Bilos, Katarzyna Jopa et Anne Kazprzak. Il propose d'explorer la littérature polonaise comme un espace de réflexion sur les formes narratives, les expériences humaines et la quête de liberté, tout en l’inscrivant dans un dialogue global. En intégrant des perspectives littéraires et philosophiques françaises, ainsi que des références aux œuvres cinématographiques de Krzysztof Kieślowski, il met en lumière la capacité de la littérature à dépasser ses ancrages locaux pour aborder des enjeux universels. La littérature polonaise, héritière d’une histoire marquée par des influences culturelles variées et des expériences historiques uniques, illustre la façon dont des récits issus de périodes aussi bien anciennes que contemporaines dialoguent avec des problématiques sociales, politiques et existentielles. Ce cycle transdisciplinaire favorise ainsi une réflexion collective où la littérature, le cinéma et la philosophie se rencontrent pour enrichir le débat culturel contemporain et explorer des questions fondamentales au croisement des identités et des libertés.
Dans la même perspective intermédiale, le projet d’Anastasia Kozyreva, Le loubok comme objet intermédiaire et intermédial : penser la littérature à travers les images, se consacre au loubok russe – objet intermédial combinant des textes et des images et omniprésent dans la culture russe du XVIe au XXe siècle. Jouant à la fois le rôle d’une source d’inspiration aux œuvres littéraires et d’un dispositif de leur réception à travers les processus d’adaptation et de remédiation, le loubok se place à la frontière de la culture orale, du théâtre et de la littérature. Cette position intermédiaire permet non seulement d’analyser la porosité des champs culturels russes, mais aussi d’interroger les possibilités de l’appréhension de l’histoire littéraire russe à partir des images.
Dans Le conte : adaptabilité, interdisciplinarité, permanence et métamorphoses dans la société contemporaine, Piotr Bilos et András Kanyadi explorent le conte comme une forme narrative intemporelle et universelle, capable de transcender les frontières culturelles et temporelles. À travers ses structures hybrides mêlant imaginaire, introspection et symbolisme, le conte reste un puissant outil d’analyse, de médiation culturelle et d’éducation. Son évolution, de la tradition orale aux formes modernes, reflète sa capacité à s’adapter aux enjeux sociaux et politiques contemporains. L’objectif est de réunir chercheurs, éducateurs et acteurs culturels pour examiner la place du conte dans des disciplines variées comme la littérature, l’anthropologie ou la traduction. Par des tables rondes trimestrielles, ce projet vise à ouvrir de nouvelles perspectives sur l’avenir du conte en tant que ressource éducative et culturelle.
Enfin, dans Nikolaï Gogol construit par le XXe siècle, Pierre-Étienne Royer explore, dans la continuité de sa thèse, la façon dont l’oeuvre de Gogol a fait l’objet, au long du XXe siècle, de relectures qui visent à contester ou à affermir les lectures de type progressiste initiées au XIXe siècle par Vissarion Biélinski, et qui ont constitué, par le biais de Tchernychevski et Dobrolioubov, une doxa critique. La critique du XXe siècle va quant à elle « construire » un Gogol moderne, reconnaissant l’œuvre dans toutes ses dimensions (formelle, spirituelle, anthropologique, etc.). Cette construction est aussi et peut-être avant tout initiée par les écrivains. Ce projet entend donc analyser l’édification du mythe gogolien et son inscription dans la contemporanéité des édificateurs.