L'Inalco accueille une collection d'œuvres du sculpteur japonais KINJŌ Minoru
Institut
Lors d'une exposition à Paris, en 1992, KINJŌ Minoru a fait don d'une partie de ses œuvres à Kolin Kobayashi, un journaliste japonais basé à Paris et impliqué dans la lutte anti-nucléaire.
M. Kolin Kobayashi, par le truchement de Makiko Andro, maitre de conférences en langue et littérature japonaises à l'Inalco, a confié ces œuvres à l'Institut à des fins de conservation et de valorisation.
Le legs est constitué de 6 statuettes, nobotoke (litt. bouddha des champs) et d'une série de 20 masques, men, en terre cuite. Ces pièces qui expriment la joie et la peine de tout un peuple illustrent une page de l'histoire moderne du Japon.
Inventoriées par le Service de l'Information scientifique, des Archives et du Patrimoine (SISAP) sous la référence 2FI Don Kolin Kobayashi - Œuvres de KINJŌ Minoru, ces sculptures font aujourd'hui l'objet d'une exposition permanente dans les espaces de la Maison de la recherche, au 2 rue de Lille.
L'exposition de cette collection a été conçue par deux experts en art japonais de l'Inalco : Estelle Bauer, historienne de l'art du Japon classique, et Michael Lucken, historien et historien de l'art, en étroite collaboration avec le Service de l'Information scientifique, des Archives et du Patrimoine (SISAP) et le Service événementiel et action culturelle (SEAC) de l'Institut.
Les masques ont fait l'objet d'un soclage sur mesure et d'un accrochage par la société spécialisée Version Bronze.
Elle a donné lieu à un vernissage fin septembre au cours duquel a été lu le texte Mon combat. Le sens de l'art, extrait de l'ouvrage Le rire de la terre de KINJŌ Minoru.
L'artiste et les sculptures
Les trois notices des cartels ci-dessous ont été rédigées par Michael Lucken.
KINJŌ Minoru
KINJŌ Minoru 金城 実 est né en 1939 à Hamahiga-jima, petite île à l’est d’Okinawa, au sud du Japon. Élevé par sa mère, veuve de guerre, et son grand-père maternel, pêcheur, il grandit dans un environnement rural reculé. En 1954, en pleine occupation américaine, il entre au lycée de Maehara situé sur l’île principale d’Okinawa. En 1957, il part pour Tokyo, puis Kyoto où il s’inscrit en 1960 à l’Université des langues étrangères pour étudier l’anglais.
Parallèlement, KINJŌ s’intéresse à la sculpture qu’il apprend de façon largement autodidacte.
Gagnant sa vie comme professeur d’anglais, il développe à partir de 1970, peu avant la rétrocession d’Okinawa au Japon (1972), une œuvre entièrement tournée vers la commémoration des souffrances endurées par les minorités de la société japonaise. Après une première période marquée par la réalisation de compositions monumentales, comme L’appel de la libération (1977), il tente au cours des années 1980 d’incorporer ces mémoires douloureuses dans des formes issues du folklore.
Devenu une figure charismatique du mouvement pour le démantèlement des bases américaines et l’autonomie d’Okinawa, KINJŌ expose en 1992 à Paris un ensemble de masques et statuettes en terre cuite dont il fait don en 2020 d’une grande partie à l’Inalco. Auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Le rire de la terre (1983) et La question du Yasukuni vue d’Okinawa (2006), il s’implique dans de nombreux conflits mémoriels, comme la question des femmes de réconfort coréennes qu’il prend pour sujet d’une œuvre en 2019.
Les statuettes, Nobotoke (Bouddha des champs)
KINJŌ Minoru, Nobotoke, terre cuite, ht. 40~47 cm, 1992
Ces six statuettes font partie d’une série d’une soixantaine d’œuvres réalisées par l’artiste en collaboration avec des adolescents punis par la justice japonaise pour avoir dégradé un monument d’Okinawa commémorant le geste controversé de dizaines de civils qui se sont donnés la mort en 1945 à l’approche des troupes américaines.
Le terme nobotoke (litt. bouddha des champs) désigne de façon générique toutes les petites statuettes du bouddhisme populaire installées en bordure des chemins et en périphérie des agglomérations. Mais il peut aussi avoir une dimension plus spécifiquement funéraire et s’appliquer aux divinités qui consolent et accompagnent les morts, en particulier dans le cadre des écoles de la Terre pure.
Ces nobotoke véhiculent ce double héritage : en reprenant ce thème traditionnel, le sculpteur s’inscrit dans un mouvement de revitalisation des arts populaires qui traverse tout le 20e siècle, mais il manifeste également une volonté de sortir de la colère et de l’héroïsme sombre qui caractérisaient jusqu’à lors son art, pour exprimer davantage de compassion à l’égard des victimes de l’histoire tourmentée d’Okinawa.
Les masques
KINJŌ Minoru, Masques, terre cuite, ht. 20~24 cm, c1992
Ces visages tourmentés évoquent des oni, des êtres qui ont péri de malemort et luttent contre l’oubli, à l’instar des civils qui, en 1945 à Okinawa, se sont donnés la mort à l’approche des Américains.
Réalisés avec des terres de densité, de texture et de couleur très différentes, ces masques se présentent comme une métaphore de la diversité humaine. Mais la liberté de leur facture témoigne également du caractère plastique et transitoire des émotions et des affaires humaines, oscillant constamment entre rires et larmes, farce et tragédie.
Ces masques (jap. men), qui forment un pendant avec les statuettes de l’accueil, témoignent d’un tournant dans l’œuvre de l’artiste. S’éloignant des modèles qui l’avaient marqué au cours de sa jeunesse (Auguste Rodin, Käthe Kollwitz), le sculpteur trouve dans le thème universel du masque un moyen de dépasser l’expression de drames particuliers, pour conférer à ses œuvres une portée plus générale.
Mon combat. Le sens de l'art par Kinjô Minoru (traduit du japonais par M. Lucken) (201.72 Ko, .pdf)