Conférence Grand témoin : Nicolas de Lacoste, Ambassadeur de France en Biélorussie de 2020 à 2021
Le 9 août 2020, la Biélorussie bascule dans une instabilité sociale et politique après la réélection truquée d’Alexandre Loukachenko, déjà à la tête du pays depuis 1994. La France, ainsi qu’une grande partie des pays membres de l’Union Européenne, n’ont pas reconnu le résultat de ces élections, marquant l’arrêt des échanges entre la Biélorussie et les pays Occidentaux. La Fédération de Russie a affirmé son soutien au régime autoritariste de Loukachenko.
C’est dans ce contexte que Nicolas de Lacoste a pris ses fonctions d’ambassadeur de France en Biélorussie en 2020. Il fut en poste à Minsk dix mois, dans un climat de tension, avant d’être contraint par le gouvernement biélorusse de quitter le pays le 17 octobre 2021. Minsk lui reprochait en effet de ne pas avoir voulu remettre les originaux de ses lettres de créance au président biélorusse. Le diplomate français est aujourd’hui un envoyé spécial du gouvernement français, un statut très rare et réservé aux zones de conflits, comme le rappelle lors de son intervention Nicolas de Lacoste.
La situation intérieure en Biélorussie
La Biélorussie détient le triste record européen du nombre de prisonniers politiques qui s’élève à près d’un millier. Parmi eux des opposants politiques, des membres d’ONG mais aussi des journalistes, qualifiés d’extrémistes. Ce constat résonne très lourdement dans les murs de l’auditorium de l’Inalco, d’autant plus que parmi ces hommes et ces femmes détenus, on recense également de nombreux jeunes, étudiants ou lycéens biélorusses, ayant participé à des manifestations de l’opposition.
Nicolas de Lacoste rappelle d’ailleurs que l’image projetée derrière lui est passible d’emprisonnement en Biélorussie et est considérée comme un « matériel extrémiste ». L’opposition au régime politique autoritaire de Loukachenko brandit lors des manifestations le drapeau de la République populaire biélorusse de 1918 qui avait été interdit par les soviétiques et par l’actuel dirigeant. La simple exhibition de ce drapeau constitue donc un acte de soulèvement lourdement puni par les autorités bélarusses. Toutes les images de ces mouvements ont été interdites, comme si ces contestations n’avaient jamais eu lieu. Par crainte des représailles, les biélorusses se sont d’ailleurs eux-mêmes largement autocensurés.
Le diplomate évoque une « hémorragie » avec la fuite de nombreux biélorusses vers les pays frontaliers comme la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Ukraine. C’est d’ailleurs le cas de la principale opposante au régime, Svetlana Tikhanovskaïa, qui a dû fuir en Lituanie car poursuivie dans son propre pays pour « acte de terrorisme », suite à ses appels à manifester durant l’été 2020.
Les conséquences géostratégiques
Resserrement des liens entre Moscou et le régime de Minsk
Malgré des relations tumultueuses entre les deux dirigeants, la Fédération de Russie a reconnu Alexandre Loukachenko comme le dirigeant de la Biélorussie. Vladimir Poutine lui a assuré son soutien et se montre particulièrement favorable à la révision de la constitution bélarusse qui prévoit un renforcement des pouvoirs de Loukachenko. Non sans contrepartie pour la Russie, car la révision constitutionnelle prévoit également la suppression d’un article de la constitution qui interdisait jusque là les Russes de positionner des troupes et des armes nucléaires sur le sol bélarusse.
Une détérioration durable des relations entre la Biélorussie et l’Occident
Minsk a pendant quelques décennies été un lieu de rencontres internationales, permettant la signature de traités importants comme le « Traité de Minsk » le 8 décembre 1991, entérinant la dislocation de l’Union Soviétique, ou encore le « Protocole de Minsk » signé le 5 septembre 2014 mettant fin à la guerre en Ukraine. Tout cela prit fin le 9 août 2020, marquant une scission nette entre les relations bélarusses et occidentales, qui sont en train de mettre en place des sanctions économiques qui se durciront graduellement. Ces mesures ont pour objectifs de faire réfléchir l’entourage de Loukachenko dont les soutiens coûteront de plus en plus cher à ses alliés au fur et à mesure que la situation économique en Biélorussie se dégradera. Les exemples des différentes expulsions de diplomates occidentaux, comme Nicolas de Lacoste, illustrent également ce constat.
L’installation d’un foyer d’instabilité durable aux frontières de l’Union européenne
Nicolas de Lacoste rappelle l’incident du vol Ryanair 4978 partant de Grèce à destination de la Lituanie, détourné par un avion militaire biélorusse pour le contraindre à atterrir à Minsk en mai 2021, dans l’unique but d’arrêter et d’emprisonner le journaliste et militant de l’opposition Roman Protassevitch. Le diplomate rappelle également la « crise aux frontières » et la situation dramatique de milliers de réfugiés venant du Moyen-Orient, dont la venue a été savamment orchestrée par le régime bélarusse, afin de déstabiliser et de faire pression sur les puissances occidentales. Chaque jour, des dizaines de migrants tentent de franchir la frontière polonaise pour entrer dans l’Union européenne.
L’Installation de bases militaires et nucléaire en Biélorussie
Le 27 février prochain aura lieu un référendum constitutionnel prévoyant la suppression de l’article 18 de la constitution actuelle concernant la neutralité militaire et nucléaire du pays. La Russie et la Biélorussie mettront alors en place une « doctrine militaire commune » avec le déploiement possible de bases militaires et le stockage d’armes nucléaires sur le sol bélarusse.
« Garder espoir »
L’ex-ambassadeur de France en Biélorussie tient cependant à transmettre un message d’espoir et en appelle aux pays occidentaux pour soutenir l’opposition désormais structurée et légitime, incarnée par Svetlana Tikhanovskaïa, mais également par la société civile Bélarusse qui continue de se battre au péril de ses libertés. Nicolas de Lacoste souligne la transformation rapide de la société bélarusse éduquée, qui voyage et s’ouvre sur le monde, et qui aspire à une « vie normale ».
L’Inalco et sa Fondation se mobilisent pour que la crise politique biélorusse ne tombe pas dans l’oubli. Le biélorusse fait d’ailleurs partie des plus de cent langues enseignées à l’Inalco.
Retrouvez l’intégralité de la conférence-débat Grand Témoin de la Fondation Inalco en replay
Rédigé par : Cécile Leblond / Fondation Inalco