Conférence "Grand Témoin" de Claude Martin : La France et l'Allemagne - Partenaires et rivaux en Asie
Fondation
En Chine, Claude Martin a été en poste à trois reprises, notamment en tant qu'ambassadeur de 1990 à 1993. Durant cette période, il a été le témoin privilégié de moments marquants de l'histoire chinoise. De l'éclatement de la révolution culturelle en 1966 à l'ouverture de la Chine sous Deng Xiaoping en 1979, en passant par les événements tragiques de Tiananmen en 1989 et la crise liée à la livraison de frégates et d'avions de combat à Taïwan de 1991 à 1992, Claude Martin a été au cœur de ces événements historiques majeurs.
En Europe, Claude Martin a également joué un rôle de premier plan. Il a contribué de manière significative au traité d'adhésion de la Grande-Bretagne en 1972, marquant ainsi un tournant dans l'histoire de l'Union européenne. Plus tard, en tant que Secrétaire Général Adjoint du Quai d'Orsay, il a participé activement au grand élargissement à l'Est dans les années 1990, favorisant l'intégration de nouveaux pays dans l'Union européenne.
Son séjour exceptionnel de neuf ans en tant qu'ambassadeur de France en Allemagne (1999-2007) a été un moment particulièrement marquant de sa carrière. Pendant cette période, il a supervisé l'installation de la nouvelle ambassade de France sur la Pariser Platz à Berlin, témoignant ainsi de l'importance des relations franco-allemandes.
Reconnu pour ses réalisations, Claude Martin a été élevé au rang d'ambassadeur de France en 2006, couronnant ainsi sa carrière diplomatique exceptionnelle.
Ancien élève de l'ENA (École nationale d'administration), Claude Martin est également fier d'être compté parmi les anciens élèves de l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), où il a étudié le chinois, le russe et le birman.
Retour sur la conférence
Au cours de cette conférence “Grand Témoin”, Claude Martin, ancien Ambassadeur de France en Chine (1990-1993) et en Allemagne (1999-2007), revient sur ses souvenirs diplomatiques.
Claude Martin fait son entrée aux Langues O’ en 1961, à sa sortie de Sciences Po. En plus d’un intérêt préexistant pour l’Europe, et plus particulièrement pour l’Allemagne, il y nourrit une attirance forte pour l’Asie. La Chine en particulier, qui s’inscrit dans un contexte de révolution culturelle tandis que se développe l’idée de puissance de l’Empire du milieu, apparait à ses yeux tel un volcan en pleine éruption, apte à jouer un rôle dans les affaires mondiales. Claude Martin y décèle très tôt un terrain propice à une collaboration franco-allemande. En poste en tant qu’attaché culturel à l'ambassade de France à Pékin, il s’étonne d’une faible présence des Allemands en Chine à cette époque, hormis une représentation de l’Allemagne de l’Est avec laquelle il engage des contacts. De retour à Paris, il met en avant l’importance pour la France d’œuvrer conjointement avec l’Allemagne en Chine.
À sa sortie de l’ENA, il intègre la direction des affaires économiques du Quai d’Orsay, puis rejoint le cabinet de quatre ministres successifs. A ses différents postes, il cherche à mettre en place les prémices d’une concertation franco-allemande sur la Chine, avec un accent mis sur les affaires commerciales, et met en exergue l’importance de mettre en place des mécanismes de négociations concertées débouchant à la création d’une démarche extérieure commune sur les affaires commerciales. Ce passage accéléré sur la politique commerciale exclusivement “communautaire” se traduit par des avancées qui permettront la conclusion d’accords commerciaux conjoints entre la France et l’Allemagne. La signature du traité de l’Élysée en 1988 consacre notamment l’institution d’un Conseil économique et financier franco-allemand, faisant de l’Allemagne le premier partenaire économique de la France.
En 1978, Claude Martin évoque le souhait de retourner en Chine se donnant pour objectif de continuer à oeuvrer en faveur d’une politique commerciale commune, qui inciterait notamment les Etats européens à signer des accords communautaires et s’accorder sur un tarif extérieur commun. De 1978 à 1984, il évoque cependant un “chemin de croix permanent” face à une politique commerciale française en concurrence systématique avec l’Allemagne, pour arracher des parts de marchés en Chine. Ces tensions commerciales persistantes entre la France et l’Allemagne rendent notamment difficile l’application de l’article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif à la mise en place d’un système commun de taxe sur la valeur ajoutée visant à régler le fonctionnement de la TVA des États membres.
Claude Martin finit par revenir à Bruxelles pendant une brève période, pendant laquelle il effectue plusieurs tentatives de faire avancer l’idée d’une politique industrielle commune convergeant vers la constitution de groupes industriels communs. Toutefois, l’Allemagne refuse catégoriquement cette idée, du fait de son refus du dirigisme à la française. Pour autant, il continue d’entretenir de bonnes relations avec Klotz Seller, ancien Ambassadeur d’Allemagne aux Philippines, même si celui-ci perçoit avant tout l’Asie comme un grand marché pour les Allemands. Claude Martin s’interroge notamment sur les fondements de cette politique commune et regrette qu’elle ne s’accompagne pas d’un volet de défense au regard des enjeux stratégiques soulevés.
De retour à Paris après quelques années passées en Chine, il est nommé “Secrétaire général au Quai d’Orsay” par Alain Juppé. Ce dernier avait avant tout pour objectif de constituer un noyau européen autour de la France, l’Allemagne et de l’Angleterre à travers les traités d’Amsterdam et de Nice en vue de renforcer la communauté européenne, désormais élargie à 27 Etats-membres.
La démarche européenne vis-à-vis de la Chine restait toutefois sans grande influence mécanique par laquelle une grande capacité à se faire entendre avait été perdue, d’après l’Ambassadeur de France.
Au cours de sa carrière d’Ambassadeur en Allemagne (1999-2007), Claude Martin a été vivement encouragé par Jacques Chirac à retourner en Chine en tant qu’Ambassadeur de France en Chine. Cependant, après la réunification de l’Allemagne, il perçoit l’opportunité de réengager un dialogue autour de la mise en œuvre d’une politique étrangère commune entre la France et l’Allemagne placée sous le signe de la concertation bilatérale.
Tout au long de sa carrière de diplomate, Claude Martin fut partagé entre batailles et déceptions. Au rang de ces dernières, l’entrée de la France au sein de l’Alliance atlantique en 1949 a engendré selon lui une perte de l’influence diplomatique extérieure française dans les affaires internationales. Il en résulta une liquidation de la coopération nucléaire franco-allemande, comme sur le plan industriel, mais avant tout, une perte de la capacité française à jouer son rôle en Asie et surtout en Chine.
En conclusion de son intervention, Claude Martin avoue se considérer comme un “européen refroidi”, s’interrogeant notamment sur le poids de l’Europe en Asie. Il estime que l’affaiblissement de son influence est due notamment au fait que l’Europe parle beaucoup mais agit peu. Il reconnait que le dialogue – davantage que les sanctions – demeure l’instrument nécessaire de la diplomatie, permettant d’échanger mais aussi de connaître les pays à qui l’on s’adresse et de négocier. Il estime que la plupart des crises internationales sont des crises que l’on aurait pu éviter et qui résultent de malentendus, favorisées par le fait de ne pas parler la même langue et de ne pas vouloir comprendre l’autre. Claude Martin mit un terme à la conférence avec cette déclaration : “ la diplomatie est basée sur la connaissance de la langue de l’autre”.
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Rédigé par : Marie Habre / Fondation Inalco
Crédits photo : ©Hannah ASSOULINE/opale.photo
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