Inalc’ER : projet d’accueil d’étudiants réfugiés, sur objectifs universitaires
Phurwatsering travaillait depuis plusieurs mois comme serveur dans un restaurant. « Je ne savais pas quoi faire de ma vie, dit-il. Est-ce que j’allais continuer ce travail toute ma vie ? » C’est Françoise Robin, enseignante à l’Inalco, qui – trouvant qu’il parlait bien français, lui a demandé s’il voulait faire des études. « Être admis à Inalc’ER m’a permis de quitter cet emploi, poursuit-il. Sinon, j’aurais continué ce travail encore plusieurs années, je n’avais pas vraiment de perspective. Pour moi, c’était compliqué car je n’ai pas de diplôme en France. J’étais un peu perdu et j’ai trouvé une direction dans la vie »
Kaysar qui est musicien, compositeur, chanteur oriental et luthiste, cherchait comment poursuivre son projet artistique : combiner littérature, poésie et musique. Une amie qui avait fait ses études à l’Inalco lui a dit : « C’est l’endroit idéal pour toi ! »
Pour Karamba, c’est Christina Alexopoulos, psychologue clinicienne bénévole dans le centre d’hébergement où il réside, qui lui en a parlé. « Jusqu’alors, on m’avait expliqué qu’il était impossible d’étudier dans ma situation. Quand j’ai compris que je pourrais continuer mes études, j’ai fait des recherches sur l’internet, déposé mon dossier, participé à un entretien de sélection et ma candidature a été retenue. Le seul admis sur les 17 candidats du centre. »
À Christina Alexopoulos, psychologue bénévole dans un centre d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM de Bobigny), il est apparu que pour certains demandeurs d’asile, l’attente administrative, l’absence d’un projet réalisable dans l’immédiat et la rupture intempestive de leurs études dans leur pays d’origine avaient des effets néfastes sur leur sentiment de pouvoir agir sur leur vie. Pour des personnes profondément traumatisées par un départ du pays mené dans l'urgence absolue, un parcours migratoire très périlleux et des conditions d’accueil très précaires, s’investir dans un projet tel que le projet Inalc’ER est une manière de réparer des blessures, des frustrations et des injustices du passé, de transformer un présent pesant en espace d’apprentissage, de réflexion et de créativité, de construire un projet d’avenir qui fasse sens, qui leur accorde une place dans le social, qui les réhabilite en leur donnant de nouvelles possibilités d’évolution. Sa connaissance de l’Inalco où elle enseigne par ailleurs depuis une dizaine d’années l’a convaincue également de l’intérêt de cette démarche : lieu d’échanges culturels, scientifiques et humains, l’Inalco incarne la pluralité des origines, des approches disciplinaires, des apports mutuels. C’est un certain rapport à l’altérité, appréhendée de manière inclusive, qui donne sans doute sa spécificité à ce projet auprès des réfugiés.
Kaysar a pu devenir chef du chœur Inalc’ER. « Je remercie particulièrement l’équipe Inalc’ER qui m’a ouvert des portes vers ce super projet. Nous n’avons pas pu commencer à répéter avant le mois de mars 2018, et nous avons pourtant réussi à être prêts pour le concert début juin : un concert très réussi étant donné le délai ! Et en 4 mois, j’ai fait beaucoup de rencontres avec des enseignants, des étudiants, des musiciens. »
Pour Phurwatsering : « Il y a vraiment des différences culturelles dans les façons d’étudier. Au Tibet, les enseignants nous donnent tous les contenus. En France, ils nous obligent à chercher par nous-mêmes. Ils nous indiquent des références de livres, des liens internet et c’est à nous de faire les recherches. Nous sommes obligés de travailler et d’étudier beaucoup.
J’apprécie les cours à l’Inalco, même si certains d’entre eux sont vraiment difficiles ; par exemple les cours de civilisation car il y a beaucoup de vocabulaire universitaire à connaître. J’ai bien amélioré mon niveau de français, et je découvre mon pays sous un autre angle. Et surtout, j’aime apprendre.
J’ai surtout apprécié l’encadrement, les contacts avec les responsables du programme Inalc’ER. J’avais beaucoup de questions, et dès le premier mois, j’étais à l’aise car nous avons eu des informations claires, j’ai bien compris le programme et je savais vers qui me tourner. Les responsables sont vraiment attentifs et présents, je ne m’attendais pas à cela. Cela me motive pour la suite. »
« J’ai rencontré des personnes qui ont d’autres cultures. Tous les étudiants Inalc’ER se retrouvent ensemble durant le cours de M Chraïbi (responsable pédagogique du programme Inalc’ER) qui est passionnant, explique Karamba. On échange, on se parle, on se raconte comment les choses évoluent. Et puis, nous avons fait des sorties culturelles tous ensemble : au cinéma, à la BNF. Nous avons créé un groupe Whatsapp entre étudiants Inalc’ER et maintenant nous communiquons entre nous. Heureusement car il n’y a pas vraiment d’accueil de la part des autres étudiants : ils semblent s’intéresser surtout à eux-mêmes. »
Certes, les études sont longues. Et la suite est à construire, le futur à imaginer et l’incertitude encore très angoissante pour certains. « C’est dur, j’ai du mal à dormir, j’ai maigri. Je pense beaucoup à ma famille qui compte sur moi. J’attends la suite. » Karamba est demandeur d’asile en attente d’un rendez-vous à la CNDA. « Si j’obtiens le statut de réfugié, avec mes études ici, je pourrai avoir un diplôme. Un diplôme, c’est le fruit de beaucoup d’efforts. Et le diplôme que je vais obtenir, je l’aurai partout avec moi. »
Car le projet Inalc’ER fait le pari de permettre à ces étudiants de pouvoir penser un futur, de se savoir légitimés dans leur parcours par des études universitaires, et de se sentir autorisés à trouver une place dans la collectivité. Ce que confirme Phurwatsering : « Si on a la chance de pouvoir étudier, on a les clés pour vivre en France. »
Synthèse de propos recueillis par Elisabeth Collard auprès de :
Kaysar ABOU ZER
Christina ALEXOPOULOS
Karamba DOUMBOUYA
Phurwatsering JAKRI
*Inalc’ER : projet d’accueil d’étudiants réfugiés, sur objectifs universitaires, soutenu par l’AUF, l’Inalco et la Fondation Inalco Langues-O
Equipe :
Aboubakr CHRAIBI : responsable pédagogique
Elisabeth COLLARD : coordonnatrice administrative
Jean-Philippe THAMMABOUTH : gestionnaire des mobilités entrantes