La Voix moyenne et la question de la responsabilité

Conférence organisée par le Groupe d'étude de philosophie japonaise de l'Ifrae.
Portrait de Koichiro Kokubun
Portrait © Kôichirô KOKUBUN‎

Communication suivie de discussion d’une demie heure avec :
M. Kôichirô KOKUBUN (Graduate School of Arts and Scienes, The University of Tokyo)

L’« actif » et le « passif » sont les principales catégories que nous utilisons pour décrire nos actes. Lorsque nous effectuons quelque chose, nous sommes considérés comme actif. Lorsque nous subissons quelque chose, ou que l'on nous fait quelque chose, nous sommes considérés comme passif. Or, une simple réflexion suffirait pour remettre en question ces visions ordinaires. Lorsque nous pensons, par exemple, est-ce vraiment nous qui pensons ? N'est-il pas plus juste de dire que, heureusement ou malheureusement, le processus de pensée est déclenché par quelque chose dans notre esprit ? Si c’est le cas, il vaudrait mieux dire : « Le fait de penser est en train de se dérouler en moi » au lieu de « Je pense ».
Ce type de reformulation peut s'appliquer non seulement au mouvement de l'esprit, mais aussi au mouvement physique. Lorsque nous marchons, notre acte est déterminé par de nombreux éléments. Dans ce cas, « l'acte de marcher est en train d’être effectué en moi » serait la formulation appropriée qui devrait remplacer « je marche ». En fait, des réflexions similaires ont été menées par de nombreux philosophes.
Au XVIIème siècle, Spinoza a nié l'idée que la volonté soit le moteur de l'action humaine. On peut bien sûr citer le nom de Sigmund Freud qui a proposé l'idée de l'inconscient. Parmi les philosophes du XXème siècle, Martin Heidegger et Gilles Deleuze ont souligné le caractère passif de la pensée. Les chercheurs en neurosciences découvrent aujourd'hui ce qui se passe réellement lorsque nous faisons une action. Il est évident que les catégories « actif » et « passif » ne suffisent pas à décrire nos actes. Malgré cela, nous continuons à utiliser ces catégories. Pourquoi en est-il ainsi ? Il convient de noter que ces catégories sont grammaticales. La dichotomie entre « actif » et « passif » correspond à celle entre la voix active et la voix passive. De plus, comme le dit clairement le linguiste français Émile Benveniste, ces catégories linguistiques dichotomisées ne sont pas universelles, même si elles semblent l'être. En effet, de nombreuses langues ne connaissent pas cette opposition et l'opposition que la langue indo-européenne avait à l'origine dans sa forme verbale n'était pas celle entre la voix active et la voix passive, mais entre la voix active et la voix moyenne. Ainsi apparaît la possibilité d’examiner une autre catégorie pour décrire nos actes : celle qui a disparu du premier plan de notre langue. Mais ce qui est difficile ici, c'est que, comme le souligne Benveniste, toute tentative de définition de la voix moyenne a échoué. Il faut en étudier minutieusement la raison. C'est pourquoi nous nous concentrons sur la définition qu'en donne Benveniste, qui consiste à dire que dans l'opposition entre la voix active et la voix moyenne, ce qui compte, c'est de savoir si le sujet est à l'extérieur ou à l'intérieur du processus de l'action indiquée par le verbe. Guidé par cette définition, cette intervention tentera de voir pourquoi la voix moyenne a perdu son rôle prépondérant et comment le sujet et l'action étaient conçus dans le monde de la voix moyenne.

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