AXE 3 : SOCIÉTÉS EN MUTATION : POLITIQUE, RELIGION, TERRITOIRES

Coordination : Irina Gridan, Georges Kostakiotis, Dominique Samson & Jana Vargovčíková

À partir de l’Europe médiane (des pays baltes jusqu’à la Grèce), du Caucase, de l’Asie centrale, de la Russie et de la Sibérie, les projets pluridisciplinaires de cet axe de recherche étudient les redéfinitions des rapports sociaux au passé et au politique en tant que processus évoluant dans l’espace et les systèmes de croyances. Ces dynamiques de « recréation » relèvent d’une variété d’acteurs et de champs de la vie sociale – politiques, culturels, associatifs et économiques ; une attention particulière est consacrée aux interstices de ces champs et aux effets transformateurs de ces interstices sur les champs eux-mêmes. Sans bornes chronologiques figées, alternant terrains, archives et entretiens avec des exilés, les projets de l’axe s’intéressent principalement aux décennies suivant les ruptures historiques des xixe et xxe siècles.

 

STRUCTURE DE L'AXE

Sous-axe 3.1. Les acteurs à l’épreuve des mutations systémiques 

  • GR 3.1.1. Écrire, décrire, analyser la mutation systémique de la décennie 1990 à partir de nouveaux terrains : entreprises, syndicats, associations 
  • GR 3.1.2. Acteurs politiques et sociétés civiles 
  • GR 3.1.3. Les « après-guerres » en Europe et en Eurasie, xixe – xxie siècles

Sous-axe 3.2. Patrimoines matériels et immatériels

  • GR 3.2.1. Religio (religions, spiritualités, croyances)
  • GR 3.2.2. Enjeux urbains et patrimoniaux

 

Sous-axe 3.1. Les acteurs à l’épreuve des mutations systémiques

Responsables : Jana Vargovčíková & Irina Gridan

Les décennies qui suivent la fin des conflits et ruptures historiques représentent un terrain privilégié pour interroger les reconfigurations de l’ordre social et politique, ainsi que les redéfinitions des rapports au politique, à l’espace et au passé. Les « après » de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide font ainsi, respectivement, l’objet d’un intérêt renouvelé des sciences sociales. L’Europe médiane fut marquée par des bouleversements radicaux à la suite de ces ruptures historiques et constitue un espace important pour l’étude de ces reconfigurations. Les projets de cet axe interrogent ainsi les redéfinitions des rapports au politique, à l’espace et au passé à partir d’une variété de terrains, allant des pays baltes jusqu’à la Grèce et la Méditerranée. Ils contribuent à l’étude de ces mutations en investissant des objets sous-exploités (les entreprises de l’édition, les procès politiques, les pratiques de contrôle de l’État, le trafic illicite, les activités politiques et diplomatiques d’acteurs non-étatiques), ainsi qu’en revisitant des objets plus « classiques » (partis et clivages politiques). L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2014 puis en 2022 représente, à son tour, une rupture dont les projets analysent les conséquences pour les sociétés civiles.

Le sous-axe comprend trois groupes de recherche et implique 8 titulaires : Étienne Boisserie, Laurent Coumel, Irina Gridan, Andreas Guidi, Katerina Kesa, Eric Le Bourhis, Anne Madelain, Jana Vargovčíková ; 4 doctorants : Sarah Bomba, Antoine Nicolle, Lucie Raskin, Léa Xailly ; 1 associée : Saida Sirazhudinova.

 

GR 3.1.1. Écrire, décrire, analyser la mutation systémique de la décennie 1990 à partir de nouveaux terrains : entreprises, syndicats, associations 

Le contrôle de l’État dans les changements de régime : une sociologie politique des Cours des comptes centre-européennes après 1989 (Jana Vargovčíková)

Le monde du livre (post-)yougoslave et ses acteurs : matière pour penser la mutation systémique de la décennie 1990 (Anne Madelain)

Extérioriser la défense de ses intérêts : les acteurs non-étatiques yougoslaves dans la politique internationale (1980-1995) (Lucie Raskin)

 

GR 3.1.2. Acteurs politiques et sociétés civiles 

  • Clivages politiques en Estonie, Lettonie et Finlande depuis 1990 (Katerina Kesa)
  • Gauche et droite en Roumanie postcommuniste (Irina Gridan)
  • Les conflits mémoriels dans la Pologne postcommuniste (Léa Xailly)
  • Le lobbying religieux en Pologne – les conséquences d’une « contre-révolution » confessionnelle de 1989 à 2023 (Sarah Bomba)
  • Engagements et désengagements culturels et citoyens à l’ère poutinienne (Antoine Nicolle)
  • La société civile russe après 2014 (Saida Sirazhudinova)
  • Politiques environnementales et urbaines dans le nord-ouest de l’URSS de 1945 à 1991 : institutions, professions, acteurs et pratiques (Éric Le Bourhis, Laurent Coumel)

 

GR 3.1.3. Les « après-guerres » en Europe et en Eurasie, xixe – xxie siècles

  • Souverainetés incertaines : pouvoir, économie et mobilité dans les régions transfrontalières de l’Eurasie entre la fin du xixe siècle et la Seconde Guerre mondiale. « Ateliers trilatéraux Villa Vigoni » (Andreas Guidi)
  • Régimes territoriaux et mobilités des acteurs et des biens : les transformations des trafics illicites en Méditerranée entre les années 1940 et 1960 (Andreas Guidi)
  • Procès des collaborateurs en URSS autour des années 1960 (Éric Le Bourhis)
  • Trajectoires de sorties de la Grande Guerre dans l’espace post-habsbourgeois (Étienne Boisserie)

 

3.1.1. Écrire, décrire, analyser la mutation systémique de la décennie 1990 à partir de nouveaux terrains : entreprises, syndicats, associations

Responsables : Anne Madelain & Jana Vargovčíková

La recherche sur les transformations systémiques de la décennie 1990 en Europe médiane est actuellement en plein renouvellement. En effet, après avoir été le terrain des économistes, des politistes, anthropologues et sociologues, la période fait l’objet de l’attention nouvelle des historiens. Ce projet associera des chercheurs de plusieurs disciplines (histoire, science politique, sociologie, anthropologie) qui revisitent, avec un recul temporel de trois décennies, les transformations des organisations (en particulier des entreprises, syndicats et associations), dans un moment de changement de régime – fin du communisme, début des réformes dites « démocratique » – et de mutation technologique (informatisation, révolution numérique). 

Il s’agit d’analyser le moment d’incertitude de la fin de la décennie 1980 et du début de la décennie 1990 et ses conséquences contrastées en Europe médiane (tournant « libéral », montée des nationalismes, éclatement des États fédéraux, conflit armé en Yougoslavie, etc.) à rebours de perspectives transitologiques, mais aussi à distance des agendas de recherche focalisés principalement sur les continuités entre les régimes communistes et les années 1990. Comment l’espace public est-il redécoupé dans une période de changement de régime (politique, économique, technologique, culturel) ? Comment les controverses autour des délimitations du « public » et du « privé » éclairent-elles les appropriations de la démocratie ? 

En travaillant à partir de matériaux hybrides combinant archives privées, officielles, classifiées et histoire orale sur une période de mutation technologique (informatisation, début de l’Internet), il s’agit de s’intéresser aux expériences des acteurs et aux faisceaux de facteurs et de dynamiques plus collectives qui alimentent la mutation systémique. 

Le projet de Jana Vargovčíková, intitulé Le contrôle de l’État dans les changements de régime : une sociologie politique des Cours des comptes centre-européennes après 1989, vise à étudier les mutations du contrôle de l’État exercé par les organes de contrôle indépendant de l’action de l’État, les « Cours des comptes », à partir des terrains polonais, tchèque et slovaque. Il prend ces institutions pour objet en tant que : a) creusets des débats et controverses sur les normes d’un « bon gouvernement » démocratique, ainsi que du périmètre d’une « sphère publique », sphère qu’il est légitime de soumettre au contrôle en tant qu’elle doit rendre des comptes aux citoyens ; b) lieux de production de discours, de données et d’informations sur l’action de l’État (par les rapports, etc.) ; c) institutions et acteurs à l’épreuve de changements significatifs dans les modalités d’exercice du pouvoir exécutif ou du régime politique en tant que tel (transformation de ces institutions après 1989, périodes de politiques antilibérales). Dans ces différents domaines, le projet est attentif à la place des échanges avec des organisations professionnelles des institutions de contrôle (intosai, eurosai) et avec des organisations internationales (ocde, ue) dans l’action des Cours des comptes centre-européennes.

Les deux autres projets menés dans le cadre de ce groupe de recherche se concentrent sur l’espace post-yougoslave : 

Le premier, conduit par Anne Madelain, intitulé Le monde du livre (post-)yougoslave et ses acteurs : matière pour penser la mutation systémique de la décennie 1990 poursuit des travaux menés depuis 2019 et qui avait donné lieu à plusieurs publications, dont un dossier collectif dans la revue Connexe. Les espaces postcommunistes en question(s) et qui s’achèvera avec la rédaction d’un manuscrit inédit intitulé Éditer après l’éclatement de la Yougoslavie (1991-2021). L’émergence d’un champ éditorial paradoxal. Le projet est centré sur les premiers acteurs des transformations : les entreprises socialistes d’édition d’une part et les pionniers de l’édition dite « indépendante » au début de la décennie 1990, de l’autre. On s’intéresse aussi aux interventions des acteurs étrangers dans le champ, en particulier la Fondation Soros, et aux interactions entre la démocratisation et le marché en contexte de conflit. L’effort principal porte sur la cartographie d’acteurs disparus ou en train de disparaître, l’analyse des tentatives d’archivage, ainsi que la fabrique d’archives orales et envisage la réalisation d’un film documentaire sur les pionniers de l’édition indépendante. Ce terrain sera par ailleurs une matière pour penser la désintégration de la Yougoslavie par le bas, analyser plus largement la mutation systémique de la décennie 1990, en comparant les terrains et participer à transmettre l’histoire de cette période aujourd’hui. 

Le second projet centré sur l’espace (post-)yougoslave, conduit par Lucie Raskin dans le cadre d’un contrat doctoral, s’intitule Extérioriser la défense de ses intérêts : les acteurs non-étatiques yougoslaves dans la politique internationale (1980-1995). Il a pour objectif de comprendre l’action d’acteurs non-étatiques (associations, partis politiques, individus) yougoslaves et post-yougoslaves auprès des autorités publiques et des diplomates européens, plus spécifiquement français et allemands, entre les années 1980 et 1995. Dans le contexte des crises et des guerres qui bouleversent la Yougoslavie pendant cette période, ces acteurs seront étudiés en tant que groupes d’intérêt et lobbyistes tentant d’influer sur la politique internationale et sur l’évolution de leur société. Une approche transdisciplinaire et socio-historique permettra d’analyser de façon originale les nombreuses archives existantes, ainsi que les données récoltées au terme d’un travail sociologique sur les réseaux d’interrelations entre les acteurs étatiques (européens) et non-étatiques (yougoslaves). Il s’agit de participer au renouvellement d’historiographies dynamiques en France, dans les pays anglo-saxons, dans l’Union européenne ainsi que dans l’espace post-yougoslave à propos de la dissolution de la Yougoslavie, à propos du fait associatif et de l’action collective dans cet espace, des groupes d’intérêt et du lobbying, ainsi que de la construction européenne et de l’histoire des pratiques diplomatiques en Europe.

 

3.1.2. Acteurs politiques et sociétés civiles

Responsables : Katerina Kesa & Irina Gridan

Dans un contexte postcommuniste initialement régi par une incertitude structurelle et normative, les stratégies politiques des acteurs, tant à usage interne qu’externe, sont mues par une quête de légitimation et des enjeux de pouvoir. Les clivages politiques évoluent (gauche-droite, conservateurs-libéraux, pro-nationaliste/atlantiste-pro-russe), de nouvelles lignes de fracture émergent entre des partis dont, pour certains, l’« acceptabilité » pose question. Face à des décideurs qui capitalisent des narrations de plus en plus teintées de populisme et de nationalisme, les acteurs issus de la société civile tentent d’infléchir les agendas politiques en y inscrivant des enjeux éthiques, sociétaux et environnementaux, en renouvelant les voies de la contestation et de la mobilisation – des contre-mobilisations conservatrices ne sont d’ailleurs pas à exclure. 

Deux projets s’attachent à l’observation des transformations des espaces politiques et partisans. Le premier est consacré aux Clivages politiques en Estonie, Lettonie et Finlande depuis 1990, porté par Katerina Kesa. Il s’intéresse aux clivages politiques dominants, évoluant ou émergeant en Estonie, Lettonie et Finlande depuis les années 1990. Il se base sur l’observation d’une scène politique – notamment en Estonie et en Lettonie – longtemps dominée par les partis de droite nationaliste, de centre-droit et pro-atlantistes, et divisée entre, d’un côté, les forces et acteurs politiques considérés comme « acceptables » et, de l’autre, les acteurs perçus comme inacceptables et controversés (défendant une approche plus conciliante avec la Russie et à l’égard des russophones), souvent exclus des coalitions gouvernementales. Par contraste avec ces deux cas, le système politique finlandais a connu depuis 1990 des alternances régulières même si la question de l’intégration à l’UE a aussi été déterminante. En se focalisant sur des contextes nationaux et internationaux particuliers (processus d’adhésion à l’UE, crise financière internationale, crise de l’accueil des réfugiés, guerre à grande échelle en Ukraine) ayant favorisé par moments certaines forces politiques ou fait émerger progressivement de nouveaux clivages politiques (ex. libéraux versus conservateurs) dans les trois pays, ce projet vise à éclairer la prédominance et l’évolution de certains clivages en mettant en lumière aussi bien les similitudes que les différences dans les logiques d’inclusion et d’exclusion des acteurs/forces politiques dans les trois pays de l’espace baltique. Dans son projet Gauche et droite en Roumanie postcommuniste, Irina Gridan analyse pour sa part la profonde restructuration de l’échiquier politique roumain après la chute du régime communiste roumain, fruit d’adaptations des acteurs et des institutions en place avant 1989, mais aussi de recompositions s’inscrivant dans une histoire longue, qui remonte à la structuration des mouvements politiques roumains à la fin du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle. Comment définir dès lors les rapports et les articulations entre la gauche et la droite en contexte postcommuniste ? Si les clivages et les luttes politiques sont féroces entre les différents partis politiques, les nuances idéologiques et programmatiques sont parfois ténues, avec des rapprochements – voire des alliances – qui posent la question d’une uniformisation autour de valeurs, de narrations et de politiques conservatrices. « PNL e PSD » [« Le Parti national libéral c’est le Parti social-démocrate »] pouvait-on lire sur de nombreuses pancartes dans le contexte électoral de l’année 2024. Au vu du glissement centriste et même droitier de l’échiquier politique, existe-t-il encore une gauche en Roumanie ? Répondre à cette interrogation nécessite d’enjamber le changement de régime de 1989 et d’analyser les positionnements programmatiques, électoraux et politiques des partis à l’aune de leur inscription dans le temps long.   

Les enjeux politiques et juridiques des conflits culturels et mémoriels en Pologne post-communiste sont envisagés sous deux angles différents. Léa Xailly se concentre sur les conflits mémoriels relatifs aux Kresy, anciens confins orientaux (lituanien, biélorussien, ukrainien) transférés à l’URSS à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que sur le déplacement forcé de leurs habitants – les Kresowiacy – vers les « territoires recouvrés » à l’ouest du pays. L’étude portera sur la manière dont les acteurs politiques polonais mobilisent les affects et les représentations liés à ces territoires, tant dans les affaires intérieures que sur la scène internationale. En explorant les discours, les commémorations, la législation et les pratiques institutionnelles, ce projet tentera de saisir comment l’usage de ces mémoires influence les stratégies politiques et diplomatiques de la Pologne contemporaine, tout en contribuant à la définition de son identité nationale. Sarah Bomba, pour sa part, mène dans un cadre doctoral une analyse du lobbying religieux en Pologne – les conséquences d’une “contre-révolution” confessionnelle de 1989 à 2023 dans laquelle elle observe le rôle de l’Église catholique en tant que groupe de pression dans le processus législatif concernant, notamment, les droits des femmes. L’influence de l’Église sur la législation y est étudiée à l’aide de la méthode historique, en retraçant l’évolution des doctrines et des mouvements politiques afin d’illustrer la chaîne causale des relations entre l’État et l’Église en Pologne. Le travail sera enrichi par une approche institutionnelle et juridique, incluant une analyse de l’évolution du droit positif. Ainsi, la période étudiée sera présentée comme une « contre-révolution » catholique à l’ère du sécularisme européen.

Deux projets interrogent plus spécifiquement les transformations contemporaines de la société civile dans la Fédération de Russie. Le premier est consacré aux engagements et désengagements culturels et citoyens à l’ère poutinienne. Antoine Nicolle y étudie l’évolution des modes d’engagement et de désengagement politiques au sein de la société civile russe, en particulier dans les milieux culturels (littérature, arts visuels, chanson, théâtre, cinéma), depuis le début des années 2000. Cette question est abordée au prisme de l’année 2022, le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine étant l’occasion, pour beaucoup d’artistes, d’une relecture critique de la relative dépolitisation du champ culturel russe survenue dans les années 1990 et actée dans les années 2000, et de la repolitisation souvent perçue comme insuffisante au moment du tournant autoritaire des années 2011-2012. Il s’agit donc d’explorer la question de l’engagement et de la responsabilité culturelle à l’ère poutinienne, telle qu’elle est pensée par les acteurs du milieu au cours de cette période, avec un point d’ancrage autant que possible contemporain. Le second projet est consacré à la société civile russe depuis 2014. Dans la poursuite de ses travaux antérieurs, Saida Sirazhudinova en analyse en particulier les mobilisations antiguerre, l’activité des groupes de femmes et la résistance ethnique. Ses recherches mobilisent les outils de la sociologie et de la science politique ; elles s’appuient sur des méthodes qualitatives.

Les travaux historiens sur les régions de l’Union soviétique ont toujours été largement guidés par la volonté d’éclairer le fonctionnement de l’État soviétique centralisé et les relations centre-périphéries. L’agression russe contre l’Ukraine depuis 2022 a d’ailleurs donné un nouvel élan à l’étude des mécanismes de domination politique du centre sur ses marges, notamment occidentales. Sans nier le caractère centralisé et autoritaire du régime, mais à rebours de ces tendances, le projet d’Éric Le Bourhis et Laurent Coumel consacré aux politiques environnementales et urbaines dans le nord-ouest de l’URSS de 1945 à 1991 : institutions, professions, acteurs et pratiques affirme la nécessité d’étudier les marges pour apporter des éléments de connaissance sur cet empire, et pas uniquement sur le rapport de ces régions au centre. Les cas d’études choisis portent sur des politiques qui, quoiqu’en partie impulsées par le Kremlin, ne relèvent pas de la soviétisation ou de politiques de domination : les politiques environnementales et urbaines (protection de la nature, gestion des ressources, reconstruction d’après-guerre, construction de logements). L’accent sera mis sur les acteurs, groupes professionnels et experts divers, dont on sait le rôle croissant dans la technocratie soviétique après 1945, et leurs pratiques. Les terrains sont volontairement choisis à la fois en Russie et en dehors – en l’occurrence dans le nord-ouest de la Russie et en Lettonie – pour mieux faire dialoguer ces espaces. Ces enquêtes d’histoire sociale, menées à différentes échelles, mobiliseront des sources diverses : archives institutionnelles (parti et État) y compris locales, Académies des Sciences, littérature grise, documentation technique, plaintes conservées dans différentes collections, histoire orale.

 

3.1.3. Les « après-guerres » en Europe et en Eurasie, xixe – xxie siècles

Responsable : Andreas Guidi

Ce groupe de recherche s’organise autour d’un projet collectif et de trois projets individuels. 

Le projet collectifporté par Andreas Guidi (avec Marco Bresciani [Florence] et Svetlana Suveica [Regensburg]) a pour cadre les « Ateliers trilatéraux Villa Vigoni ». Intitulé Souverainetés incertaines : pouvoir, économie et mobilité dans les régions transfrontalières de l’Eurasie entre la fin du xixe siècle et la Seconde Guerre mondiale, il vise à créer un réseau de chercheurs des régions périphériques de divers empires d’Eurasie (allemand, austro-hongrois, ottoman, tsariste, Qing) travaillant autour de la notion de souveraineté. Nous interrogerons la souveraineté en nous concentrant sur sa nature mutable et incertaine au gré des transformations politiques, mais aussi sur sa nature parfois conjointe, due au chevauchement des pouvoirs étatiques et militaires dans de nombreuses régions du continent eurasien. La période chronologique s’étend de la fin du xixe siècle – marquée par des pertes territoriales de l’Empire ottoman et par des « concessions » imposées à l’empire Qing – jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les unités d’analyse spatiale du projet sont les régions transfrontalières entre États impériaux ou post-impériaux, dont certaines parties ont été soumises à l’occupation militaire et à diverses formes de quasi-souveraineté, de l’île ottomane de Crète en 1897-1913 à la Mandchourie en 1900-1935, jusqu’au système des mandats et à la création de « villes libres » comme Fiume, Danzig et Memel, parfois sous l’égide de la Société des Nations, après la Grande Guerre. L’objectif est de jeter les bases d’une nouvelle histoire du continent eurasien qui se concentre sur les chevauchements de la souveraineté impériale et post-impériale.

Les trois conférences envisagées porteront sur trois axes : 1. les interactions entre diplomatie et acteurs locaux dans la réorganisation des rapports entre villes et arrière-pays, notamment dans les transitions juridiques et administratives concernant la question des minorités ; 2. l’impact politique et juridique des liens économiques à l’intérieur des régions transfrontalières, mais également résultant du commerce et des flux de capital à travers l’infrastructure – telle que les ports, le chemin de fer et les douanes ; 3. l’expérience des habitants des régions transfrontalières liée à la migration (libre ou forcée, y compris les « zones grises » entre les deux), les régimes de citoyenneté et les droits de résidence ou encore la discrimination et la persécution.

Le premier des trois projets individuels est consacré aux Régimes territoriaux et mobilités des acteurs et des biens : les transformations des trafics illicites en Méditerranée entre les années 1940 et 1960. S’appuyant sur l’observation que, dans les études sur la Seconde Guerre mondiale, la sortie de guerre et la guerre froide, la Méditerranée reste un espace peu exploré par l’historiographie, Andreas Guidi fait l’hypothèse que les nombreux changements territoriaux et de régime politique, les phénomènes migratoires et la compétition entre les puissances militaires (Grande-Bretagne, États-Unis, Union soviétique, pays non-alignés) font de cette région un terrain propice pour établir une nouvelle histoire contemporaine pour laquelle la Méditerranée est centrale en tant que zone de contact centrale entre l’Europe, le Proche-Orient et le Maghreb. Ce projet interroge la transformation territoriale et politique de la Méditerranée en prenant comme objet la contrebande maritime. La circulation illicite de biens et de personnes en Méditerranée est un prisme prometteur pour appréhender les stratégies institutionnelles – souvent instables – du contrôle du territoire. En suivant les dossiers d’archives institutionnelles, il est en outre possible de retracer les trajectoires d’acteurs tels que les agents maritimes, les courtiers, les marins, jusqu’aux « gangsters » ou grands trafiquants qui se positionnent face aux transformations politiques. Enfin, les affaires de contrebande amènent à l’étude des représentations médiatiques liées à un espace en transformation à travers les faits divers, les reportages sensationnalistes, les investigations et les véritables scandales résonnant dans la presse. Ce projet s’articule autour de trois parties portant principalement sur : a) le transport clandestin de réfugiés juifs de Roumanie (jusqu’en 1944), puis de France et d’Italie (1945-1948) jusqu’à la Palestine mandataire par deux armateurs, un grec et un italien ; b) le trafic de cigarettes américaines entre la zone internationale de Tanger et le Territoire libre de Trieste (1949-1956) ; et c) la contrebande d’armes entre la Yougoslavie et l’Algérie à l’époque de la guerre d’indépendance (1958-1962). La recherche combine une focale micro-historique sur des personnes, des événements, et des lieux spécifiques avec un regard sur les transformations à grande échelle en utilisant des sources d’archives, des reportages et des journaux en serbo-croate, turc, grec, français, italien, roumain et anglais.

Les deux autres projets individuels sont consacrés aux après-guerres mondiales. Dans son projet consacré aux Procès des collaborateurs en URSS autour des années 1960, Éric Le Bourhis part de l’hypothèse que, à partir de la fin des années 1950 en Union soviétique, la poursuite judiciaire des collaborateurs de l’occupant allemand pendant la Seconde Guerre mondiale a connu de nombreuses évolutions. L’histoire de cette « seconde vague » de procès soviétiques est à peine écrite – et est trop souvent réduite à quelques procès publics et médiatisés. Dans le prolongement du livre collectif Seeking Accountability for Nazi and War Crimes in East and Central Europe : A People’s Justice?, co-dirigé en 2022 avec Irina Tcherneva et Vanessa Voisin, ce projet collectif (mené avec Vanessa Voisin, Università di Bologna, et David Rich, Catholic University of America) entreprend d’éclairer ces procès à partir du cas des procès qui se sont tenus en Lettonie soviétique (une cinquantaine entre 1958 et 1973) qui sont très bien documentés. L’histoire politique et sociale de ces procès permettra de questionner plusieurs dimensions de ces procès : l’évolution des crimes poursuivis, des méthodes d’enquête et des peines prononcées ; les liens avec les procès antérieurs, notamment avec les procédures d’appel ; les rapports entre la société et une justice très politique ; la dimension internationale. Étienne Boisserie poursuit pour sa part ses recherches sur les trajectoires de sorties de la Grande Guerre dans l’espace post-habsbourgeois. Il y observe en premier lieu les réorganisations administratives, ainsi que les stratégies de prises de contrôle de territoires aux souverainetés parfois encore incertaines. C’est sous cet angle que les processus de changements de régime permettent d’observer les transformations à l’œuvre dans les sociétés considérées, observées à une échelle locale.

 

Sous-axe 3.2. Patrimoines matériels et immatériels

Responsables : Georges Kostakiotis & Dominique Samson

Au-delà des diverses définitions que le mot « patrimoine » peut recouvrir, matériel ou immatériel, il constitue le plus souvent le reflet d’une histoire collective et un héritage à préserver ou abolir, selon les époques et les pouvoirs. Le patrimoine ne signifie pas seulement savoir, conservation et transmission, il est aussi une perpétuelle recréation, à l’instar de nombre de pratiques culturelles transmises oralement et reconnues par une communauté jusqu’à aujourd’hui, comme une part intégrale de son humanité. De fait, il devient un enjeu, y compris pour le chercheur qui, dans son laboratoire comme sur ses terrains, fait œuvre de médiation entre les générations et nous révèle le lien que nous entretenons à notre territoire et à notre histoire. C’est dans cet esprit pluridisciplinaire et collectif que des collègues d’aires géoculturelles diverses représentées au sein du CREE (Arménie, Estonie, Grèce, Russie, Sibérie, Ukraine) ont entrepris d’investir le champ culturel, ses acteurs et ses pratiques, afin de comprendre les processus de patrimonialisation au fil des siècles, mais aussi d’établir un cadre épistémique commun à toute l’équipe. La diversité religieuse et culturelle, mêlant traditions anciennes et mouvements contemporains d’une part, et le patrimoine urbain et architectural reflétant les tensions entre mémoire collective et projets politiques d’autre part, s’articulent aux projets de l’axe 3.2 ; des passerelles naturelles et collaborations pourront être faites entre les collègues des différents projets.

Le sous-axe comprend deux groupes de recherche et implique 6 titulaires : Georges Kostakiotis, Andreï Lebedev, Anna Leyloyan-Yekmalyan, Dominique Samson, Taline Ter Minassian, Eva Toulouze ; 2 doctorants : Denis Lakine, Anastasia Servan-Schreiber ; 1 jeune docteur : Paul Wolkenstein ; 3 associés : Anne Grynberg et Isabelle Nemirovski, Marie Stachowitsch.

 

GR 3.2.1. Religio (religions, spiritualités, croyances)

  • Du pope à la pop : représentations et pratiques du christianisme orthodoxe 
  • Les prières oudmourtes 
  • Croyances et pratiques religieuses des « juifs russes »
  • L’apocalypse selon le postmodernisme russe : le rire comme réponse à l’eschatologisme

 

GR 3.2.2. Enjeux urbains et patrimoniaux

  • Ville et espace urbain dans la littérature 
  • Documentation et la préservation du patrimoine arménien en péril
  • Patrimoines/patrimonialisation soviétiques/post-soviétiques
  • Histoire postcoloniale de l’architecture soviétique

 

3.2.1. Religio (religions, spiritualités, croyances)

Responsables : Dominique Samson & Eva Toulouze

Ge groupe de recherche se décline en trois projets collectifs et deux projets individuels explorant religions et spiritualités dans leurs dimensions pratiques et culturelles avec une approche à dominante anthropologique et littéraire.

Le premier de ces projets, Du pope à la pop : représentations et pratiques du christianisme orthodoxe est porté par Andreï Lebedev, Dominique Samson et Marie Stachowitsch. Il explore le rôle complexe joué par l’orthodoxie en Russie, de la période impériale à aujourd’hui, où Dieu est entré dans la Constitution d’un État officiellement laïc. L’œuvre missionnaire sera l’un des thèmes privilégiés, y compris dans les formes actuelles de prosélytisme, notamment à travers la traduction commentée de journaux missionnaires, qui contrastent souvent avec l’image plutôt négative du pope dans la presse sibérienne, la tradition orale autochtone ou les relations de voyage. Le christianisme orthodoxe russe pourra être aussi considéré d’un point de vue extérieur, qu’il soit autochtone ou européen, ou intérieur – la presse religieuse. Pour la période actuelle, il s’agira de mener une étude comparative entre le folklore et la pop pour comprendre comment la conscience archaïque parle à travers la culture de masses moderne en Russie, grâce aux versions pop actuelles des chansons folkloriques, et pour tenter d’expliquer la résurgence de la figure du sorcier (chaman) dans le pop-folk actuel russe.

Ancré dans une approche plus littéraire, Denis Lakine explore l’interaction entre le rire et la pensée eschatologique russe dans son projet de recherche l’apocalypse selon le postmodernisme russe : le rire comme réponse à l’eschatologisme. Il y examine la manière dont ces représentations du Salut à la fin des temps sont mises en scène dans la littérature postmoderne de l’époque du socialisme tardif, une période marquée par la tension entre les croyances traditionnelles et l’idéologie officielle. S’appuyant sur un corpus comprenant Moscou-Petouchki de Venedikt Erofeïev (1969), Le Camouflage de Iouz Alechkovski (1978) et Moscou 2042 de Vladimir Voïnovitch (1986), ce projet postule que le rire, loin de se limiter à une simple déconstruction des différentes facettes de l’eschatologie, en devient un substitut illusoire. Ce rire assume une fonction quasi-eschatologique, procurant une libération éphémère qui donne l’illusion d’accomplir les promesses restées inaccomplies de l’eschatologisme russe, figé dans l’impasse de l’URSS tardive. Dans ces textes, l’action du rire atténue une certaine déception eschatologique, tout en ouvrant la voie soit à un dépassement, soit à un renouveau de cette vision du monde et de l’histoire.

Deux autres projets à dominante anthropologique observent les spiritualités sous l’angle de leurs pratiques. Le projet d’Eva Toulouze est consacré aux prières oudmourtes. Genre vivant aujourd’hui encore, des textes oudmourtes collectés au xixe siècle par les explorateurs et ethnographes n’ont connu qu’une seule édition en 2010. Le projet vise à recueillir des textes portant sur toute l’aire oudmourte qui n’a été que très superficiellement explorée. Outre la localisation, le déchiffrage et la traduction de textes épars dans les publications du xixe siècle, mais aussi dans les archives des universités et des centres de du xxe siècle, la religion traditionnelle connaît une vague de revitalisation. Une étude comparative des textes anciens et nouveaux pourrait être fructueuse. Seront en outre collectées les paroles dites aux morts, qui sont restées en marge de l’analyse jusqu’ici. Ce projet d’ampleur sera mené en collaboration avec des chercheurs oudmourtes et des interlocuteurs locaux. Cette collecte donnera lieu à une édition scientifique commentée des textes, dans une version trilingue (oudmourte, russe et anglais), la transcription dialectale là où existent l’audio et les fichiers audio-vidéo.

Dans leur projet Croyances et pratiques religieuses des “juifs russes”, Anne Grynberget Isabelle Nemirovski étudieront l’évolution du monde juif dans cet espace dans une perspective chronologique thématisée : en premier lieu, la diversité des options religieuses des juifs – de plus en plus sécularisés – dans l’espace slave, en particulier dans l’Empire russe, à partir du XIXe siècle, et l’analyse des premières vagues d’immigration en « terre d’Israël ». En second lieu, la question religieuse en Union soviétique, entre laïcisation et assimilation, permanence d’une identité juive sans doute plus culturelle que strictement religieuse, puis renouveau de la foi dans les années 1970-1980 parmi les refuzniks désireux d’immigrer en Israël. Enfin, dans la mesure du possible, le projet abordera les années 1990 pour analyser les options religieuses des juifs restés en Russie et en Ukraine ainsi que celles des nouveaux immigrants en Israël — juifs revenus à une stricte pratique rituelle, « laïcisés » ou encore très russifiés dont certains restent fidèles à la religion orthodoxe. Dans quelle mesure la situation de ces immigrés, dont beaucoup ne sont pas reconnus comme juifs aux termes de la loi religieuse qui fait autorité en Israël, met-elle en évidence l’enchevêtrement et les ambivalences des définitions religieuse, ethnique et nationale de la judéité ? L’étude du cas très singulier des Juifs d’Odessa, de la création de la ville à la période la plus contemporaine, viendra enrichir cette approche.

 

3.2.2. Enjeux urbains et patrimoniaux

Responsable : Georges Kostakiotis

Ce groupe de recherche s’articule autour de quatre projets ayant en commun l’étude du patrimoine matériel et immatériel à travers différents objets. L’approche historienne est privilégiée tout en accordant une place particulière à la littérature, l’architecture et une réflexion plus transversale sur les périphéries et leur rapport au centre, sur la mémoire et la transformation des lieux. 

Le projet de Georges Kostakiotis se concentre sur l’étude de la ville et de l’espace urbain dans l’Europe du centre-est et du sud-est en envisageant la ville comme un ensemble civilisationnel, voire culturel, tel qu’elle est incarnée par la littérature. La ville est vue comme l’espace où se réalisent les gestes spécifiques qui forment la cité [polis] comme lieu de devenir politique, d’action sociale et d’exercice de la mémoire. Il se penche sur l’évolution de la ville et réfléchit sur la transformation de la cité en une grande métropole et enfin en une mégapole. Quelle est la place de la personne dans ces espaces ? Quels sont les rapports entre le centre-ville, la périphérie et la banlieue ? Entre la ville et la campagne ? Quels sont les rôles de l’histoire et la place de la mémoire ? Ce projet se concentre sur des villes du centre-est et du sud-est européen où, après une évolution urbanistique ralentie par les conditions économiques et politiques, la transformation des espaces urbains a été souvent très rapide, voire brutale, et où le paradigme occidental, imposé comme seule possibilité d’évolution, a souvent été mal adapté à la réalité sociale et économique de l’espace centre-oriental de l’Europe.

De son côté, Anna Leyloyan-Yekmalyan travaille sur la documentation et la préservation du patrimoine arménien en péril. Ce projet est mis en œuvre par l’équipe de l’Association Hishatakaran (Arménie) et il a pour objectif de recueillir, documenter et préserver le patrimoine monumental arménien, en particulier celui du Haut-Karabagh (Artsakh). Ce patrimoine, en grand danger depuis septembre 2023, est plus que jamais menacé tant par des destructions qualifiables de crimes de guerre que par des processus de réappropriation qualifiables d’ethnocides. L’objectif principal est d’identifier, de cartographier et d’inventorier les sites et monuments menacés, en adoptant une approche rigoureuse de préservation reposant sur une documentation scientifique. À cette fin, le programme prévoit la création d’une plateforme académique indépendante, entièrement dédiée à l’enregistrement, à la classification et à la mise en valeur du patrimoine arménien en danger. Cette plateforme s’appuiera sur des archives institutionnelles souvent sous-exploitées, des archives privées parfois encore non identifiées, ainsi que sur des enquêtes de terrain et des témoignages oraux recueillis auprès des réfugiés et des témoins oculaires. Les données collectées seront analysées par un réseau réunissant des archéologues, des architectes, des historiens de l’art et des anthropologues culturels. Ces collaborations permettront d’offrir une analyse complète, précise et actualisée des sites menacés et/ou détruits. Les résultats des avancées du projet feront l’objet d’un colloque annuel et de publications sur le site de l’Association.

Les travaux consacrés aux Patrimoines/patrimonialisation soviétiques/post-soviétiques par Taline Ter Minassian,s’inscrivent dans la continuité de ses travaux précédents sur le lien entre constructions identitaires et espace urbain, notamment à travers l’exemple de la topographie urbaine des Arméniens de Constantinople au xixe siècle. L’ensemble du champ de la « soviétologie » a connu de profondes évolutions depuis la disparition de l’URSS. Identifiée par Moshe Lewin comme le facteur central de l’histoire contemporaine de l’URSS, l’urbanisation est l’un des grands apports de l’Empire soviétique, notamment dans les régions périphériques. Quel est le rapport entre identité nationale et territoire urbain à l’époque soviétique ? Peut-on procéder à une analyse « ethnologique » de la monumentalité soviétique partout présente dans le territoire urbain ? Quels sont les aspects urbains de la « crise des nationalités » à l’origine de la désintégration de l’URSS ? L’enquête se poursuivra dans la mesure du possible au Caucase et en Asie centrale, en reconduisant des collaborations existantes à Sarajevo, mais également en nouant des liens avec une équipe de Brno, très active dans le domaine de l’histoire de l’art et du patrimoine caucasien.

Enfin, Paul Wolkenstein a pour projet de produire une histoire postcoloniale de l’architecture soviétique. Appliqué à l’attitude de la Russie envers les républiques soviétiques fédérées, l’emploi du terme « colonisation » est une question complexe, mais inévitable. Les mutations actuelles des villes postsoviétiques sont à étudier de près, à l’heure où de nouvelles formes architecturales singulières adoptent ou rejettent le tissu urbain de la période de domination russo-soviétique. Sur un plan épistémologique, la production d’une histoire de l’architecture soviétique rigoureuse présente des difficultés, tant son écriture nécessite dans certaines régions un changement de parallaxe. Dans une logique de décentralisation des savoirs, il s’agira donc de tenir compte du fait que le couple histoire de l’architecture / études soviétiques présente une configuration postcoloniale qui engendre certaines confusions. Ce projet de recherche reposera sur trois outils : les archives institutionnelles, les enquêtes d’histoire orale et enfin l’analyse architecturale et urbaine.