Journée d'étude "Les études sahéliennes sans œillères : regards critiques et pluridisciplinaires"

Cette journée d'étude se tiendra le Mardi 10 décembre 2024 à l'auditorium Dumézil, Maison de la Recherche, Paris.
Maison en forme d'obus
Maison du peuple Mousgoum en forme d'obus à la province de l'Extrême Nord au Cameroun © Wikipédia‎

Le Sahel, désigné « arc de crise » dans le Livre Blanc de la république française de 2008 (Foucher, 2012), est une région dont la complexité tend à échapper au terme de « crise », qui, précisément, selon Morin (2012) « au lieu d’éveiller, contribue à endormir ». En effet, appliqué à toutes les composantes de la vie (crises politiques, économiques, religieuses, migratoires, alimentaires et démographiques), les discours médiatiques, politiques, mais aussi les recherches scientifiques, et, partant, les représentations sur le Sahel, connaissent aujourd’hui une véritable polarisation autour des crises, laquelle polarisation occulte immanquablement les réalités du terrain. Lorsqu’on examine par exemple les thèses soutenues sur la question du Sahel en 2023 en France[1], celles-ci concernent, à quelques exceptions près, les sciences économiques, politiques et environnementales, avec pour thème prédominant, la crise. Ainsi, assiste-t-on à une sorte d’amplification, par les acteurs politiques, médiatiques et scientifiques, de la pensée unique. 

Pour Bonnecase et Brachet (2013), ce paradigme est lié au contexte d’inaccessibilité du terrain décrétée par nombre d’institutions scientifiques et diplomatiques, le résultat étant une « production croissante d’expertises reposant sur des points de vue distants sur le Sahel, et une raréfaction des travaux reposant sur une base empirique ».  Or, comme le précisent ces deux auteurs, « les manifestations de crise même les plus patentes ne sauraient être comprises dans leur complexité dès lors qu’elles sont appréhendées isolément, comme si elles faisaient sens en elles-mêmes ou qu’elles marquaient une nette rupture nécessairement par rapport à leur environnement ordinaire, social et historique ». D’où la nécessité, non seulement d’une pluralité de lieux d’énonciation, qui, en termes décolonial et postcolonial, correspondent aux lieux depuis lesquels la connaissance est produite, mais aussi d’une diversité d’approches disciplinaires. 

Par exemple, Lefebvre (2015) a démontré en étudiant les pratiques de scarifications au Sahel central au XIXe siècle que, contrairement aux discours coloniaux dans lesquels ces pratiques apparaissent comme usages figés et immuables par lesquels on aurait toujours, et de la même manière, figure l’ethnie sur la peau, les scarifications sont en réalité le reflet de parcours de vies s’inscrivant dans des procédés d’identification des individus. 

Ainsi, sans exclure les disciplines majoritaires sus-citées, tout à fait indispensables à une compréhension profonde du Sahel, quels regards à la fois critiques et complémentaires offrent des disciplines telles que l’anthropologie, l’histoire ou encore la linguistique en vue d’équilibrer le discours dominant ? Quels discours alternatifs permettent de se départir des lectures univoques et très souvent réductrices ? Et quel est le rôle des humanités numériques (notamment des plateformes de données de la recherche en sciences humaines et sociales tels que HAL, LaCAS, Isidore, etc.) dans la gestion, l’interprétation voire la réinterprétation des données sur le Sahel ? Ces questions, non exhaustives, feront l’objet de cette journée consacrée aux études sahéliennes.

 

Références bibliographiques 

Bonnecase, V., Brachet, J. 2013. Les « crises sahéliennes » entre perceptions locales et gestions internationales. Politique africaine, 130, 5-22.  

Foucher, M. 2012. L'Arc de crise, approche française des conflits (The arc of crisis, a French approach to conflicts). Bulletin de l'Association de géographes français, 89e année, Risques et conflits. pp. 6-17.

Lefebvre, C. 2015. Ganin ya fi ji / Voir est mieux qu’entendre : lire l’identité sur la peau (Sahel central, XIXe siècle). Critique internationale, 68, 39-59.

Morin, E. 2012. Pour une crisologie. Communications, 91, 135-152. 

 

ORGANISATION

Liliane Hodieb, Inalco-PLIDAM-LACAS

COMITE SCIENTIFIQUE

Sandra Bornand, CNRS-LLACAN

Peter Stockinger, Inalco-PLIDAM

Cécile Van Den Avenne, EHESS-IMAF