Conférence Grand témoin : le parcours de Sylvie Bermann
Fondation
Sylvie Bermann nous a fait l’honneur d’inaugurer l’école d’été « Fondements et pratiques de la diplomatie », co-organisée par Delphine Allès, directrice de la filière Relations Internationales de l’Inalco, et l’Ecole nationale d’administration publique de Montréal (ENAP), en revenant sur son parcours de diplomate lors d’une conférence donnée à l’issue de la première journée, le lundi 27 juin 2022 à la Maison de la recherche de l’Inalco.
De 2011 à 2019, Sylvie Bermann est ambassadrice extraordinaire et plénipotentiaire de France dans trois pays membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies : la Chine continentale (2011-2014), le Royaume-Uni (2014-2017) et la Russie (2017-2019).
Lors de cette conférence « Grand Témoin », Sylvie Bermann revient sur son parcours et expose sa vision du monde actuel à travers le prisme de son expérience de la diplomatie et des relations internationales.
Diplomate de carrière
Alumna de chinois à l’Inalco, Sylvie Bermann explique que c’est aux Langues O’ qu’elle s’est intéressée à la diplomatie puis dirigée vers une carrière dans ce milieu. L’Inalco est en effet le seul établissement public d’enseignement supérieur et de recherche au monde à proposer une offre de formation aussi riche en langues et civilisations (103 langues et civilisations enseignées). Le chinois y est enseigné depuis 1840 et le département d’études chinoises de l’Inalco est l’un des sites sinologiques les plus importants au monde.
Sylvie Bermann entreprend sa carrière diplomatique en 1979 lorsqu’elle devient Vice-consul de France à Hong-Kong à une période où l’actuelle région administrative spéciale faisait encore partie des colonies britanniques. Elle rappelle qu’à l’époque, les Chinois n’y avaient pas de rôle politique, à l’exception des tycoons capitalistes qui ont fait émerger la ville comme place financière. A cette époque, l’intégration avec la Chine commençait à devenir une réalité. La rivière Shenzhen qui sépare Hong Kong de la Chine continentale, servant de ligne de démarcation naturelle entre Hong Kong, place capitaliste, et son arrière-pays au système socialiste, tend à disparaître. On parle de « frontière disparue » (« Vanishing Border »). C’est l’incarnation de la fameuse formule de Deng Xiaoping : « Un pays, deux systèmes ».
Sylvie Bermann est par la suite nommée deuxième secrétaire à l’ambassade de France en Chine à la Direction Asie et Océanie du Quai d’Orsay.
Puis elle devient deuxième conseillère à l’ambassade de France en Russie, ou plus précisément en ex URSS, « colosse au pied d’argile », comme la désigne Sylvie Bermann : un pays fort en apparence mais qui s’avérait en réalité très fragile. En poste durant la perestroïka (littéralement « la reconstruction »), Sylvie Bermann a vu de près les réformes économiques et sociales entreprises par le président Gorbatchev. Ce changement d'orientation politique avait pour but de restructurer la vie économique et sociale de l'Union soviétique et de changer les mentalités en s'appuyant notamment sur la communication et la transparence par l'introduction d'une certaine liberté d'expression et d'information. Mais l’absence de mise en place d’un véritable mécanisme de marché s’est avéré destructrice pour les conditions de vie du peuple russe, ce qui a contribué à renforcer les contestations et les revendication nationalistes et a rendu inéluctable le démantèlement de l’Union en 1991.
En 1992, elle devient deuxième conseiller à la mission permanente de la France auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York, avant d’être nommée à la tête du département de politique étrangère et de sécurité au ministère des Affaires étrangères.
En 2002, elle devient ambassadeur représentant permanent de la France auprès de l’union de l'Europe occidentale et du comité politique et de sécurité (« COPS ») de l’Union européenne à Bruxelles.
En février 2011, Sylvie Bermann est nommée ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de France en Chine. Elle devient la première femme à occuper les fonctions d’ambassadeur de France auprès d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
Elle devient ensuite directrice des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la Francophonie (NUOI) au ministère des Affaires étrangères de décembre 2005 à février 2011.
Le 19 juin 2019, Sylvie Bermann est élevée en Conseil des ministres à la dignité d’ambassadrice de France. Une fois encore, elle est la première femme élevée à cette dignité.
Elle met fin à ses fonction d’ambassadeur à la fin de l’année 2021 pour rejoindre la présidence du groupe Minsk, sous-groupe politique qui lutte pour la réintégration du Donbass dans l’Ukraine, dans le cadre de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
La diplomatie dans des contextes historiques marquants
Mme Bermann observe que lors de sa carrière de diplomate, elle a toujours occupé ses fonctions dans des contextes historiques marquants.
Elle a voyagé en Chine en 1989 où elle a assisté aux manifestations de Tian’anmen, l’événement politique le plus important de l’après révolution culturelle.
Plus tard, en 2011, elle a été ambassadeur de France en Chine au moment de l’arrivée au pouvoir de l’actuel président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, qu’elle décrit comme l’ « homme de l’ouverture et de la modernisation de la Chine ». L’exercice de ses fonctions a aussi été marqué par le 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques sino-françaises, les noces d’or entre la Chine et la France.
En juillet 2014, elle est nommée ambassadeur de France en Angleterre, un pays qui semblait a priori « sans histoire », mais le 23 juin 2016, 51,9% des électeurs britanniques votent pour la sortie de l’Union européenne lors d’un référendum qui a été marqué par une forte participation et à l’origine du Premier ministre conservateur David Cameron. Choix, selon Sylvie Bermann, irrationnel et dangereux pour la démocratie. Ce tournant, indique Mme Bermann, donne des raisons de craindre une polarisation du monde.
Elle quitte son poste en Angleterre pour Moscou en 2017. Sur place, elle constate rapidement la très forte influence de la Russie à l’international, notamment à l’occasion du sommet Russie-Afrique à Sotchi en 2019 réunissant 46 chefs d’état africains ayant répondu à l’appel de Vladimir Poutine pour renforcer les lien entre la Russie et l’Afrique. Sylvie Bermann constate également la proximité de la Russie avec les Chefs d’Etat du Moyen Orient, notamment après l’intervention militaire de la Russie en Syrie, soit la première intervention militaire de la Russie en dehors de ses frontières depuis la guerre Afghanistan.
Plus récemment, Sylvie Bermann a suivi les premiers échanges entre le président français Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. Elle explique qu’à cette période, le chef d’état russe n’était pas dans une logique de guerre puisqu’il avait accepté de rencontrer le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Décrivant l’esprit politique russe, Sylvie Bermann reprend la formule utilisée par Andreï Gratchev pour intituler son ouvrage paru en 2014 : « Le passé de la Russie est imprévisible ».
Sylvie Bermann conclue sa conférence en indiquant la nécessité de rediscuter une architecture de paix en Europe afin d’éviter l’émergence d’une nouvelle muraille de Chine ou d’un rideau de fer.