Quelques références non-exhaustives
Pour compléter ce dossier sur les travaux de recherche du département ASEP, voici les dernières publications de nos collègues chercheurs.
Allès, Delphine: Premises, Policies and Multilateral Whitewashing of Broad Security Doctrines: A Southeast Asia-Based Critique of “Non-traditional” Security, ERIS – European Review of International Studies, 1-2019, pp. 5-26.
Cet article met en évidence les approches extensives de la sécurité formulées en Indonésie, en Malaisie puis dans le cadre de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), bien avant leur conceptualisation dans le champ académique. Des conceptions larges, étendant la définition de la sécurité aux enjeux socioéconomiques, ont formé la base de la consolidation des appareils étatiques et militaires dans la région. Cet historique tend à être négligé par les analyses louant la conversion des élites politiques sud-est asiatiques au discours de la "sécurité non-traditionnelle", perçue comme une innovation devant conduire à approfondir la coopération multilatérale. Au regard de l'histoire et des usages des doctrines stratégiques nationales, qui forment le socle du discours de l'ASEAN, la sécurité non traditionnelle s'apparente pourtant à une évolution sémantique plutôt qu'une transformation politique. Au cœur de la doctrine de sécurité compréhensive promue à l'échelon régional, ce concept a fourni une onction multilatérale à des conceptions "larges" de la sécurité et du rôle des appareils militaires, dont il légitime ainsi les fonctions socio-politiques étendues.
Mots-clés : Asie du Sud-Est, sécurité non traditionnelle, ASEAN, études de sécurité.
De Vienne Marie-Sybille, « Les formules de consécration des dignitaires au Perak et au Brunei : enquête préliminaire sur l’origine et les fonctions du ciri », Péninsule n° 79, 2019 (2), pp. 107-168
La récitation d’une invocation en « pseudo-sanskrit », le ciri, subsiste jusqu’à ce jour au Perak (Malaisie péninsulaire) et au Brunei lors de l’attribution de dignités curiales. En sus des feuillets conservés dans ces deux sultanats, plusieurs manuscrits du Sulalat al-Salatin (SS al. Sejarah Melayu) donnent le texte du ciri utilisé lors de l’intronisation du fondateur de la dynastie de Malaka. Le synopsis des ciri cités dans les différents manuscrits du SS montre qu’il s’agit des variantes d’une même formule, ouvrant ainsi quelques pistes quant à la titulature originelle de la dynastie de Malaka, notamment en rapport avec le royaume de Malayu et la parentèle d’Ādityavarman. L’étude des six ciri datant du XIXe siècle utilisés lors de l’attribution de dignités curiales, l’un au Perak et les cinq autres au Brunei, révèle à l’inverse des origines bien distinctes, ceux du Brunei étant pour partie écrits en arabe. L’existence d’un modèle ‘perakien’ de ciri suggère que certains des ciri en vigueur dans le monde malais auraient été précédés d’un préambule dont l’usage ne se serait maintenu qu’au Perak. La partie pseudo-sanskrite du ciri brunéien reste plus proche des ciri du SS. Les apports de la démarche ne peuvent qu’inviter au croisement des sources manuscrites, épigraphiques et archéologiques, et plus largement à leur mise en regard avec les rites palatiaux malais contemporains.
De Vienne Marie-Sybille (Inalco) & Jérémy Jammes (Universiti Brunei Darussalam), "China at the ‘epicentre’ of Southeast Asia — Economic and Geostrategic Challenges of the Belt and Road Initiative in Brunei“, (Septembre 2020), Asian Survey (Berkeley), 27 ff.
At the 17th ASEAN Regional Forum, Chinese Minister of Foreign Affairs Yang Jiechi reminded all that “China is a big country and all the other countries are small countries; this is a fact”. Though Brunei is the smallest of all ASEAN States according to both its population and GDP, the level of Chinese investment (cumulated direct investment and construction contracts divided by 2018 GDP) in the sultanate is much higher than in most other ASEAN states. The present paper analyses the BRI stakes for both Brunei and China and Brunei’s response to the Chinese proposals, showing that in spite of its smallness, the sultanate seems still able to preserve its own interests up to a certain extent thanks to its balanced foreign policy and its financial resources.
De Vienne Marie-Sybille, « Le ‘grand jeu’ chinois face aux identités locales : l’État Shan, un nœud géostratégique, 1948-2019 », in Pierre Journoud & Antoine Coppolani (éds.), Un triangle Strategique à l’épreuve : la Chine, les États-Unis et l’Asie du Sud-Est, de 1947 à 2017, Montpellier, PULM, sous presse, 4e trimestre 2020, 16 ff.
Face aux troubles qui agitent l’État Shan depuis 1948, la Chine a changé à quatre reprises de posture. En 1952, sa priorité est de contrecarrer les infiltrations du Kuomintang. Pendant la révolution culturelle, elle joue la subversion par le truchement du parti communiste birman (PCB), qui prend le contrôle de la zone frontalière. Suite à l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping (1977), elle se rapproche de Rangoon et réduit de manière drastique son soutien au PCB. Le rapprochement se mue en partenariat fin 1989, scellant la disparition du PCB. La réintégration du Myanmar dans la communauté internationale (2011) et la reprise de la guerre dans l’État Shan la poussent enfin à soutenir la ‘normalisation’ tout en œuvrant à la stabilisation des zones par où transitent une partie de ses approvisionnements en hydrocarbures.
Duchère, Yves, 2019, Hà Nội et sa région. Une géographie du compromis en régime autoritaire, Les Indes Savantes, 237 p.
Au Vietnam, l’urbanisation est le mode opératoire de l’intégration du pays dans l’économie de marché. Véritable moteur de l’économie, l’urbanisation reste également un segment stratégique de l’intervention de l’État-parti qui maintient son emprise sur le système politico-administratif et la société. Dans le contexte de « rattrapage urbain » de Hà Nội, les villages d’artisans du périurbain sont le lieu de recompositions socio-spatiales propres au développement métropolitain de la ville et sont analysées par une approche originale et interdisciplinaire. L’étude fournit d’importantes clefs de lecture pour comprendre les modalités du maintien au pouvoir du PCV en postulant dès le départ que l’exercice du pouvoir autoritaire des autorités peut être appréhendé par l’analyse des rapports de force à l’œuvre dans la fabrique urbaine à Hà Nội. Il est également proposé que la capacité des autorités à dialoguer en s’adaptant et à « tâtonner » plutôt qu’à soumettre par la force et la répression constitue la poutre faîtière de la stabilité du régime. En partant d’un objet de recherche empirique et spatialisé, lé démonstration s’attache à démontrer comment la gouvernance des espaces urbains et périurbains de la métropole de Hà Nội dessine une géographie particulière. Autorité, consentement, compromis et gouvernance sont interrogés à travers trois terrains aux enjeux différents.
Fau Nathalie, Franck Manuelle (Dir.) : L’Asie du Sud-Est, Emergence d’une région, mutation des territoires, Armand Colin, coll Horizon, 2019, 448p.
Au carrefour de deux continents, l’Asie et l’Océanie, de deux géants démographiques, la Chine et le sous-continent indien, et de deux océans, l’Indien et le Pacifique, l’Asie du Sud-Est constitue l’extrémité tropicale du continent asiatique. Formée d’une péninsule et d’un chapelet d’îles, s’étalant sur 4 500 000 de km² et peuplée d’un peu plus de 600 millions d’habitants, cette région se compose aujourd’hui de onze pays, d’une considérable diversité de tailles, de populations, de géographies, de cultures et de niveaux de vie. Une telle complexité – socio-économique notamment – tend même à remettre en cause le statut de région de l’Asie du Sud-Est. L’ouvrage s’attache donc à penser l’Asie du Sud-Est dans sa globalité afin d’en dégager des traits communs, en multipliant les approches transversales et multiscalaires, sans pour autant négliger les spécificités de chaque pays. Parallèlement, deux grandes problématiques – la définition géographique de la région d’une part et son développement économique d’autre part– fondent le livre, construit autour de cinq parties : « L’émergence d’une région », « Les modèles de développement », « Les limites du développement », « Territoires de l’urbain » et « Les processus de l’intégration régionale ». L’ensemble des cartes, schémas, tableaux et graphiques proposés permettra au lecteur d’obtenir une connaissance précise et approfondie de cette région. Cet ouvrage de synthèse prépare à l’une des questions de géographie du CAPES et de l’Agrégation.
Guérin, Mathieu, « Le stec trāñ’ de Kampong Svay au milieu du XIXe siècle : officier du roi ou grand feudataire ? », Péninsule, n°80, 2020.
Les sources cambodgiennes et françaises du XIXe siècle sur la province de Kampong Svay au Cambodge permettent d’étudier les relations de pouvoir entre la Cour du roi à Oudong puis Phnom Penh, et la terre du Nord. L’ukñā tejo Ey, cauhvāy sruk et chef de cette terre, bénéficie de la protection du roi de Siam. Lorsqu’il perd ce soutien, il se rapproche des Français. Son emprise sur sa terre va bien au-delà de sa position dans la hiérarchie de la royauté et de ses soutiens extérieurs. Grâce à ses qualités propres, sa kerti, et sa capacité à établir des liens personnels avec ses administrés, il peut mobiliser ses clients pour s’imposer face au roi. Le pouvoir au Cambodge apparaît ainsi bien plus éclaté que ce que les Français ont pu écrire lorsqu’ils ont établi leur domination sur le pays.
Guérin, Mathieu, « Notes de voyage cambodgiennes au Laos et au Siam », in Nathalie Kouamé, Eric P. Meyer, Anne Viguier (dir.), Encyclopédie des historiographies : Afriques, Amériques, Asies, Paris, Presses de l’Inalco, 2020, pp. 1298-1303.
En 1883, l’orientaliste Étienne Aymonier a chargé une dizaine d’assistants cambodgiens d’explorer des territoires alors considérés comme laotiens sous domination siamoise. Les notes en khmer de ces explorateurs constituent un corpus d’une qualité exceptionnelle actuellement conservé à la Société asiatique. Il couvre tout à la fois la description des itinéraires suivis, de la topographie, de l’hydrologie, de la géographie des espaces compris entre Kratié et Vientiane, du plateau de Khorat à Attopeu. Les auteurs, de jeunes lettrés cambodgiens, se sont aussi faits archéologues, estampeurs, ethnographes des régions visitées et ont laissé une vision cambodgienne des espaces siamois et laotiens à la fin du XIXe siècle. Malgré leur intérêt pour les historiens et les anthropologues, ces écrits de terrain difficiles à déchiffrer et souvent rébarbatifs au premier abord restent peu utilisés.
Guérin, Mathieu, « Protéger la forêt et sa faune contre les indigènes en Malaya Britannique », Péninsule, n°75, 2017, p. 37-71.
Au début du XXe siècle, le gouvernement britannique s’est emparé de la question de la conservation de la faune sauvage de son empire. Des politiques ont alors été conçues prévoyant notamment la mise en réserve de vastes portions à l’intérieur des territoires sous domination britannique pour créer des réserves naturelles, des sanctuaires de la vie sauvage et des parcs nationaux. En Malaya, le principal défenseur de cet effort fut l’ancien amateur de grande chasse Theodore Hubback. Il fut notamment à l’origine de la création de deux vastes zones protégées dans le sultanat de Pahang : la réserve de faune de Krau et le parc national Roi George V. Ces projets ont affecté les populations locales dont les droits d’usages des forêts et de leurs produits furent limités. Néanmoins, les sources montrent qu’avec l’aide des sultans, notamment le sultan Abu Bakar de Pahang, les peuples de la forêt et les villageois malais purent défendre leurs doléances qui furent prises en compte dans la rédaction des réglementations applicables au parc national et aux réserves. La mise en place des espaces protégés, loin d’être des diktats de l’autorité coloniale, furent le résultat d’intenses négociations entre différents courants au sein de l’administration britannique, les populations locales, les sultans et leurs cours. Les défenseurs de la conservation furent obligés de faire des concessions, qui, sur le long terme, ont renforcé l’efficacité de ces espaces pour la protection de la faune sauvage.
Nguyen Thi Hai (2018), La marche de Cao Bằng: La Cour et les gardiens de frontière, des origines aux conséquences de la réforme de Minh Mạng, Paris, Presses de l’Inalco, 292 p.
Située à la frontière du Nord du Vietnam et dotée d’un relief accidenté, la province de Cao Bằng, pays des Tày, a longtemps été considérée comme une zone reculée, barbare, insalubre et potentiellement dangereuse pour les Kinh venus du delta. Pour bien administrer cette zone frontalière, le souverain dût accepter les privilèges des chefs autochtones en maintenant ses propres prérogatives comme les éléments symboliques. Mais, à partir de 1820, en visant à intégrer cette région au système administratif officiel du pays, l’empereur Minh Mạng (1820-1840) a réalisé une politique pour éliminer le pouvoir des gardiens de frontière. Cette réforme est considérée comme la première offensive, et d’ailleurs la plus violente, du pouvoir central à l’encontre des chefs autochtones en zone montagneuse. Cette monographie offre un nouveau regard sur le rapport entre la monarchie et les pouvoirs locaux de Cao Bằng, sur le processus d’intégration des marches frontières du Nord du Vietnam et sur les difficultés rencontrées par la cour de Hué dans sa gestion des régions frontalières.