Documentation de la langue pesh parlée au Honduras

La documentation linguistique a comme objectif principal la conservation orale (audio/vidéo), la transcription et l’analyse de langues souvent peu connues et parfois menacées de disparition. Avec l’accélération de la perte de la diversité linguistique dans notre monde, il est important de consigner la plus grande partie possible de la richesse linguistique et culturelle encore présente aujourd’hui. En Amérique du Nord par exemple, comme le mentionne Goddard (1996 : 3), des 329 langues autochtones parlées autrefois, 120 sont déjà éteintes, 72 ne sont parlées que par des personnes âgées, 91 par des adultes et quelques enfants, et seulement 46 sont parlées par des locuteurs adultes et enfants.

La documentation linguistique est fondamentale pour la connaissance des langues autochtones, voire pour leur maintien si certaines conditions sont réunies, en particulier la volonté et l’implication dans le projet de documentation des membres de la communauté. C’est cette expérience qui va être illustrée dans cet article à travers le projet de documentation de la langue pesh parlée au Honduras.
Enfants du village La Laguna lisant le premier livre écrit en pesh
Enfants du village La Laguna lisant le premier livre écrit en pesh. (Chamoreau 2017) © Chamoreau, 2017‎
La langue pesh parlée au Honduras

Le pesh (pech, paya, ISO 639-3Pay) est la plus septentrionale des 16 langues Chibcha vivantes et la seule parlée au Honduras. Le pesh est menacé de disparition : il compte environ 500 locuteurs dont 80% ont plus de 60 ans. La langue est parlée dans quatorze villages. La carte montre les régions où le pesh est parlé; les étoiles indiquent les huit villages où les données ont été collectées. Il y a trois dialectes au total : le dialecte du Carbon, parlé à Carbon, La Laguna et Agua Amarilla par environ 280 locuteurs ; le dialecte de Las Marias, qui est parlé à Las Marias par 5 locuteurs et le dialecte Culmi, qui est parlé dans les dix villages restants par environ 220 locuteurs. Il y a peu d'informations dans la littérature sur le pesh. Un aperçu de 1928 contient une liste de mots de pesh traduits en espagnol (Conzemius, 1928). Plus récemment, Holt (1999) a publié une synthèse incomplète de la grammaire.

Localisation des villages où est parlé le pesh
Localisation des villages où est parlé le pesh. (Troiani, Duna 2017) © Troiani, Duna 2017‎
Le projet de documentation du pesh

Un projet majeur de documentation de la langue pesh a été soumis en 2013 au Hans Rausing Endangered Languages Programme (ELDP). Il a été accepté et a fonctionné de 2014 à 2017. Ce projet a trois objectifs principaux : la collecte de plus de trente heures de contes et conversations en pesh transcrits et annotés sur le programme ELAN ainsi que l’analyse des données, l’écriture d’articles scientifiques et d’une grammaire à moyen terme (d’ici environ 5 ans) ; puis la publication de textes glosés, analysés et traduits illustrés par des photos. Le projet est mené par 11 membres : 5 membres de la communauté pesh, qui collectent des données, les transcrivent et les traduisent sur le programme ELAN ; 4 linguistes qui affinent les transcriptions et analysent les données ; 2 anthropologues qui filment les travaux et étudient dans les récits l’utilisation des plantes pour la médecine traditionnelle et les recettes de cuisine. A ce jour, nous avons recueilli 290 documents (179 vidéos et 111 audios) et avons fourni les métadonnées de chaque locuteur et chaque document.

Toutes ces données sont accessibles sur la page du projet (https://www.elararchive.org/). Les membres de l’équipe continuent désormais le travail afin d’affiner et compléter les données.

Le projet de publication des premiers livres écrits en pesh

Environ 6500 langues sont parlées dans le monde. Selon l'Unesco, 96% d'entre elles ne sont parlées que par 4% de la population et d'ici la fin du 21° siècle, environ 90% de ces langues auront disparu. Environ 95% des langues ne sont pas écrites. Tel est le cas du pesh, langue de la famille Chibcha parlée par moins de 500 personnes au Honduras et menacée de disparition.
 
Lors du projet de documentation, l’approche participative des chercheurs dans diverses communautés et la prise de conscience des locuteurs du danger de disparition de leur langue les ont amenés à s’engager collectivement dans des actions visant à créer et à publier les premiers livres de contes dans cette langue qui n’avaient jamais été écrite auparavant.
 
Plusieurs membres de la communauté pesh se sont impliqués activement dans le projet et ont exprimé la nécessité de publier des livres dans leur langue afin de renforcer et de diffuser leurs traditions culturelles et de développer des matériels pédagogiques pour l’enseignement de la langue, car ils sont inexistants. Ce besoin est apparu au cours du projet, et deux premiers livres écrits en pesh en sont le résultat : ils seront utiles tant dans la communauté pesh que dans la société en général. Ils ont été écrits pour la communauté et pour tous ceux qui s’intéressent à la langue pesh. Des financements de l’Endangered Language Documentation Programme (ELDP), du Laboratoire d’excellence “Fondements Empiriques de la Linguistique” (LABEX-EFL), de l’université Sorbonne Paris Cité (USPC) et du Centre d'études mexicaines et centraméricaines (CEMCA) ont permis ces publications.
 
Pour la première publication, nous avons choisi le conte Wichã akaki « La Mère des poissons » car il a été raconté à plusieurs reprises par des locuteurs de différents villages et occupe une place importante dans la tradition des Pesh. Il s’agit d’un mythe de fondation du peuple pesh où une sirène entraine un homme sous l’eau pour s’unir à lui. Pour la deuxième publication, nous avons choisi le conte Takaskro « Le Sisimite », autre mythe connu et central dans la tradition des Pesh. Ce fameux mythe d’Amérique centrale est également connu sous son nom de nahuatl comme tzitzimitl. Le sisimite est décrit comme un monstre poilu avec des caractéristiques semblables à celles des hommes. Il kidnappe les femmes pour les emmener dans sa caverne et s’unir à elles. Il a les pieds retournés pour déjouer ceux qui veulent le poursuivre.
 
Ces contes sont écrits en pesh et traduits en fin d’ouvrage en espagnol, en français et en anglais. Une version papier (éditée en 500 exemplaires, soit un par locuteur de la langue) et une version audio active est accessible pour les deux contes (http://www.cemca.org.mx/wicha-akaki/ et http://cemca.org.mx/takaskro/). Deux nouveaux contes seront publiés en 2019 également financés par les mêmes institutions que pour les premiers livres.

Les deux premiers livres publiés en pesh
Les deux premiers livres publiés en pesh (Chamoreau, 2017) © Chamoreau, 2017‎
Le documentaire « Ce qui est sorti de nous est revenu écrit »

Le documentaire « Ce qui est sorti de nous est revenu écrit » décrit l'impact de la recherche linguistique réalisée dans les communautés où le pesh est parlé. Il illustre trois étapes des projets menés : la documentation de la langue et de la culture ; la création du projet d’édition et de publication des premiers livres en pesh ; et finalement il montre la réception des ouvrages dans différentes communautés. Sur une idée de Claudine Chamoreau, le documentaire a été filmé par un réalisateur professionnel, Ludovic Bonleux, qui est aussi un passionné d’anthropologie et de sociologie.
 
Le documentaire offre une vision locale et globale, tant des locuteurs, des chercheurs et des responsables de l'éducation. Il permet de comprendre la force symbolique et identitaire d'une langue, de son entrée dans l'écrit et de la rupture ou de la réorientation de sa transmission. Des financements de l’ELDP, du LABEX-EFL, de l’USPC et du CEMCA ont permis ce documentaire.

Il est accessible gratuitement sur l’internet en 3 versions :
 
- espagnole : "Salió de nosotros y regresó escrito. Documentación de la lengua pesh" [https://youtu.be/fmDiFW5Mrrc - https://vimeo.com/228396358]
 
- française : « Ce qui est sorti de nous est revenu écrit. Projet de documentation de la langue pesh » [https://youtu.be/z3flvMwx0yo - https://vimeo.com/243014857]
 
- anglaise : “What went out from us has come back written. Documentation Project in the Pesh language” [https://youtu.be/BBNvI_DuDK8 - https://vimeo.com/248377767]

Quelques références bibliographiques citées :

- Conzemius, E. 1928. Los Indios Paya de Honduras. Estudio geográfico, histórico, etnográfico, y lingüístico. Journal de la Société des Américanistes 20 : 253–360.
- Goddard, Ives (dir.). 1996. Handbook of North American Indians. Volume 17 : Languages. Washington : Smithsonian Institution.
- Holt, Dennis. 1999. Pech (Paya). Munich : Lincom Europa.
 
Contact scientifique : Claudine Chamoreau, directrice de recherche au CNRS, laboratoire SeDyL
claudine.chamoreau@cnrs.fr