Plurilinguisme et innovations numériques éducatives en Guyane

Il y a vingt ans, les chercheurs du CELIA, en partenariat avec le laboratoire des sciences sociales de l’IRD Cayenne et l’Education nationale, décrivaient les langues locales pour les faire entrer à l’école. Un dispositif expérimental d’enseignement en langues locales était créé. Vingt ans plus tard, les chercheurs du SeDyL, toujours impliqués sur le terrain guyanais, développent des outils numériques pour aider à la diffusion et l’enseignement de ces langues et définir des politiques linguistiques éducatives adaptées et innovantes.
Grammaires de langues de Guyane
Grammaires de langues de Guyane. DR © DR‎


Territoire français en Amérique du Sud, la Guyane fascine par sa diversité linguistique et culturelle qui se révèle un casse-tête pour les pouvoirs publics.
 
L’implication des chercheurs du SeDyL (Structure et Dynamique des Langues, UMR CNRS, INALCO, IRD) en Guyane est ancienne. Elle tente de répondre à des enjeux de société tels que réduire les inégalités dans l’accès à l’éducation au travers de recherches impliquées. La priorité des recherches à partir des années 1995 était de décrire les langues locales pour les faire entrer à l’école pour répondre aux revendications locales créoles et amérindiennes sur l’importance de leurs langues et au désarroi du corps enseignant face à un échec scolaire massif. L’objectif de tous était d’adapter l’école aux langues parlées par la population.
 
Les travaux des linguistes ont permis, dans un premier temps, la description de dix langues autochtones amérindiennes et créoles et leur grammatisation : mise au point d’une écriture pour les langues à tradition orales, de grammaires et de dictionnaires.
 

Grammaires de langues de Guyane
Grammaires de langues de Guyane. DR © DR‎


 
Puis des enquêtes sociolinguistiques ont permis de décrire le multilinguisme de la société guyanaise : une quarantaine de langues s’y côtoient dans des configurations très diverses d’un village à l’autre, comme on peut le voir sur la carte 1, ce qui nous a permis de discuter des politiques linguistiques menées dans le domaine scolaire. L’étude des échanges entre enseignants et élèves en salle de classe a aussi montré l’importance de s’appuyer sur les ressources de tous pour communiquer et mieux apprendre.
 
 

Langues 1 parlées en Guyane
Langues 1 parlées en Guyane. DR © DR‎


 
Un dialogue constant avec de très nombreux acteurs concernés (ministères, rectorat, université, associations locales ou nationales, groupes de locuteurs) a permis la mise en place de dispositifs d’enseignement bilingue : un dispositif expérimental en 1998, puis la création d’un corps de professeurs bilingues professionnels et la généralisation de ce dispositif après les accords de Cayenne survenus après les mouvements sociaux en 2017. Des formations à l’enseignement bilingue ou plurilingue et des parcours spécifiques ont été créés récemment à l’École supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE) de Guyane.
 
Ces quelques vingt années de recherche débouchent actuellement sur des projets de diffusion de la recherche financés par le ministère de la Culture, la direction des affaires culturelles (DAC Guyane) ou encore le Parc amazonien : des dictionnaires participatifs bilingues élaborés par les locuteurs, avec l’aide de linguistes et d’informaticiens, sont en cours de finalisation pour cinq langues de Guyane et bientôt accessibles sur smartphone. Le projet LINE – Langues et Innovations Numériques Educatives – en collaboration avec le réseau Canopé proposera une plateforme rassemblant l’ensemble des résultats des travaux de recherche de ces vingt dernières années, des ressources en langues ainsi que des activités pédagogiques bi ou plurilingues.
 
Des films sont notamment réalisés dans un objectif d’information et de formation. Le documentaire « Mots mêlés : une Guyane multilingue et plurilingue » réalisé en 2018 est le premier d’une série. Ce film montre comment, en Guyane, les habitants utilisent tous les jours des éléments de plusieurs langues pour communiquer. Enfants, au contact des autres, ils apprennent à mélanger les langues et à passer d'une langue à l'autre. Cette compétence plurilingue, encore peu exploitée ou valorisée à l'école, est très utile dans les situations professionnelles, à l'hôpital, ou dans la vie de tous les jours. Cette aptitude à passer d'une langue à l'autre est révélée par une approche ethnographique et par l'analyse d’échanges plurilingues On y voit notamment les enjeux communicationnels et sociaux de l'utilisation ou de la non-utilisation de la langue de l'Autre.
 
Ces avancées concrètes nécessitent une implication sur le terrain sur le temps long et la collaboration avec de nombreux partenaires non académiques. Elles nécessitent d’adopter différentes approches scientifiques (linguistique, sociolinguistique, propositions didactiques, développements informatiques) et d’ouvrir de nombreux dialogues interdisciplinaires.
 
 
 
Mots mêlés : une Guyane multilingue et plurilingue. Un film d'Armelle Exposito et Isabelle Léglise (2018) : https://youtu.be/7H1zjsnDCrM
 
Numéro thématique sur les langues de Guyane (Langues et cités n°28, 2017) : http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Observation-des-pratiques-linguistiques/Langues-et-cite/Langues-et-cite-n-28-les-langues-de-Guyane
 
Site web sur les langues parlées par les élèves scolarisés en Guyane : https://leglise.cnrs.fr/ 
 
 
Contact scientifique : Isabelle Léglise, Directrice de recherche, CNRS, SeDyL (CNRS, INALCO, IRD). Thèmes de recherche : Multilinguisme, plurilinguisme, Guyane, Brésil, Suriname.
isabelle.leglise@cnrs.fr